ARCHITECTURE | Bien pensé, de la cave au grenier

22.03.2023 Claudia Weiss

Le directeur Werner Kuster en est bien conscient: peu de jeunes vivent de leur plein gré en institution. Le groupe d’habitation ­externe Hagenbuch, du foyer scolaire Elgg, a toutefois été conçu jusque dans les moindres détails, de la forme aux couleurs en ­passant par les matériaux, afin que les jeunes s’y sentent bien et trouvent leur place.

Tout a commencé par un modèle de maison, une idée de ce qui pourrait idéalement ressembler une maison d’habitation pour jeunes. L’architecte Ruedi Zehnder explique avec enthousiasme le croquis du modèle. Puis, se tenant devant le groupe d’habitation externe Hagenbuch du foyer scolaire Elgg, dans le canton de Zurich, il pointe du doigt la maison située à côté d’un immense noyer. «Lorsque nous avons construit ce bâtiment, nous nous sommes rapprochés du modèle idéal autant que la configuration du terrain et les normes de construction nous l’ont permis», explique-t-il. Il a délibérément intégré le noyer dans le programme architectural pour en faire un arbre de vie autour duquel le bâtiment forme un angle, avec deux cours intérieures pour les grillades, la détente et les parties de ping-pong.

Ruedi Zehnder présente la maison construite en bois, dont l’isolation est faite de flocons de cellulose et de laine de mouton, et dotée d’un toit à deux pans comme exigé par la commune. Tous les matériaux ont été choisis avec soin, dans le respect de la nature, afin de créer une atmosphère conviviale et harmonieuse. C’était essentiel, explique Werner Kuster, le directeur général du foyer scolaire Elgg: «Nombre de jeunes sont très sensibles, et souffrent parfois d’allergies.» Par ailleurs, la couleur des façades joue avec le vert du foyer scolaire Elgg et s’accorde à la campagne alentour. Les échelons de bois qui garnissent les murs ajoutent un aspect ludique, comme pour rappeler que des jeunes vivent ici. L’ensemble a été minutieusement pensé. De la pointe du toit jusqu’au sous-sol, Ruedi Zehnder et Werner Kuster ont réfléchi aux couleurs, aux formes et aux matériaux à utiliser pour apporter de la légèreté et offrir à dix jeunes au maximum une cohabitation agréable et détendue.

L’ancienne maison du groupe d’habitation a bien aidé à la planification, explique Werner Kuster. Il s’agissait d’une ancienne ferme du 18e siècle. Les escaliers étaient étroits, les plafonds bas, les chambres doubles trop petites et les salles de bains trop peu nombreuses, ce qui créait beaucoup de tensions. Durant ses quinze années à la tête de l’école, Werner Kuster a pu constater ce qui ne convenait pas du tout aux jeunes: les chambres doubles, par exemple, sont dépassées, en particulier pour les jeunes qui ne sont pas de la même fratrie. «Des chambres individuelles et suffisamment de salles de bains permettent en outre de prévenir les agressions.»

«Le chêne relie à la terre»

Ruedi Zehnder acquiesce: «Ce mauvais exemple nous a permis d’avancer», affirme-t-il. Il est ainsi vite apparu comme une évidence qu’un escalier trop étroit était source de stress dès l’entrée, car les jeunes jouaient des coudes pour passer en premier. Dès lors, un large et solide escalier en chêne constitue le cœur de la maison de Hagenbuch, s’étirant, tel un tronc d’arbre, de la cave au deuxième étage. «Le chêne relie à la terre», explique l’architecte. Un apprenti dessinateur a conçu le joli motif en forme de branche qui laisse passer la lumière sur la paroi latérale en bois. Lorsque plusieurs jeunes montent et descendent les escaliers en courant, cela fait certes beaucoup de bruit, reconnaît Georg Häusler, éducateur social. «Cependant, je constate que les relations entre les jeunes sont nettement plus détendues grâce à l’organisation généreuse de l’espace.»

L’entrée de la maison s’ouvre sur un grand vestiaire, offrant suffisamment de place. Une cuisine spacieuse et une salle à manger bénéficient de larges baies vitrées. Les tables en frêne clair peuvent être réunies pour n’en former qu’une lors des soirées pizza, ou séparées afin de créer de petits coins repas. «C’est aussi grâce à cette flexibilité que l’atmosphère est plus détendue», estime Georg Häusler.

Des couleurs pour se sentir bien

Dans toute la maison, les teintes ont été choisies avec l’aide d’une conseillère en couleurs: recouvert d’un mélange de bois et de ciment facile d’entretien et agréablement chaud, le sol est gris clair, «une couleur pour faire place nette et garder les pieds sur terre». Quant à la nuance de blanc choisie pour les murs, elle calme. L’orange, le jaune, le bleu et le vert pastels des chaises de la salle de réunion favorisent la communication. Enfin, les canapés vert menthe du salon du rez-de-chaussée et du séjour sous le toit ont un effet apaisant. Ils ont été choisis avec des accoudoirs suffisamment bas pour qu’on puisse s’y asseoir: «D’après mon expérience, c’est là que les jeunes préfèrent s’asseoir», sourit Werner Kuster. Les salles de bains, une pour deux jeunes, sont recouvertes d’un carrelage bleu turquoise rafraîchissant: «Une couleur agréable pour le corps», a expliqué la conseillère à l’équipe de construction. Werner Kuster estime que c’est important: «Les jeunes sont souvent en pleine puberté et ont du mal à accepter les changements de leur corps. Ils apprécient cette couleur agréable.»

«Depuis la nouvelle approche ­pédagogique et l’emménagement dans la nouvelle maison, les jeunes sont bien plus sereins.»

Certaines décisions ont été prises sur la base de réflexions pratiques bien concrètes: le technicien interne, qui travaille ici depuis trente ans, en avait assez de réparer sans cesse des portes d’armoire endommagées pour avoir été trop souvent claquées par colère ou frustration. Il a donc développé l’idée d’une armoire en bois clair sans porte mais avec un rail pour y glisser un rideau d’une couleur adaptée à l’humeur des jeunes: des tissus bleus ou verts à l’effet apaisant en cas d’agressivité, et des tissus orange ou rouges, égayant la pièce, lors d’états dépressifs. Les jeunes peuvent aussi utiliser l’armoire comme cloison de séparation. À cet effet, le dos du meuble est pourvu d’un tableau d’affichage pour photos et posters, un besoin que les jeunes ont souvent exprimé. Les autres meubles proviennent en partie de brocantes et peuvent être peints par les jeunes au gré de leur créativité. Chaque chambre a au moins une grande fenêtre et toutes offrent une vue sur la nature, même les deux chambres mansardées du dernier étage.

Billard et coin bricolage

Les jeunes doivent se sentir à l’aise dans leur chambre, mais pas s’y enfermer toute la journée. «Il faut aussi les encourager à participer à des activités communes», explique Werner Kuster. Chaque étage dispose donc de différentes niches, qui invitent à effectuer diverses activités: l’une est aménagée en coin lecture, une autre fait office de coin bricolage et peinture, une autre encore est équipée d’une table de billard. L’espace collectif situé sous le toit attire les jeunes qui souhaitent discuter en aparté ou jouer à un jeu à l’écart des autres. Toutes ces réflexions ont atteint leur but, se réjouit Werner Kuster. «Depuis l’introduction de la nouvelle approche pédagogique fondée sur le modèle orienté vers les compétences et l’emménagement dans la nouvelle maison il y a cinq ans et demi, les jeunes sont bien plus sereins.» Georg Häusler, qui travaille depuis vingt ans comme éducateur social au foyer scolaire Elgg et qui a connu l’ancienne construction, le confirme: «La bonne atmosphère générale est très agréable.»

Ce nouveau bâtiment bien pensé, dont la planification et l’autorisation ont pris trois ans et demi, est aussi à la pointe dans le domaine énergétique: la maison Minergie est dotée de panneaux solaires, d’un chauffage par sonde géothermique et d’une pompe à chaleur. La ventilation fournit tout au long de l’année un air frais agréable préchauffé ou refroidi. Pour que les lumières des espaces communs ne consomment pas inutilement de l’énergie, elles sont équipées de détecteurs de mouvement. À la cave, une autre salle commune a été imaginée par un groupe de jeunes. Ils ont choisi d’aménager ensemble, sous supervision, un local de danse pourvu de grands miroirs muraux servant aussi de salle de fête.

L’utilisation de matériaux de qualité et la mise en œuvre du standard Minergie n’ont certes pas été bon marché: le nouveau bâtiment a coûté 3,2 millions de francs. Près de la moitié a pu être couverte rapidement grâce à une collecte de fonds, explique le directeur général. La Confédération et le canton ont versé chacun une subvention, et les prestations de l’association «Verein Schulheim Elgg» ont couvert une partie des coûts. Dans cette maison, affirme Werner Kuster, il n’est pas question de penser que «c’est déjà bien assez pour ces jeunes». Au contraire, les enfants et les jeunes qui ne peuvent pas vivre au sein de leur famille doivent pouvoir bénéficier d’un environnement particulièrement favorable: «Un chez-soi accueillant, lumineux et convivial, pour envisager de bonnes perspectives d’avenir malgré un départ dans la vie peu favorable.»


 

Photo: foyer scolaire Elgg/Philip Böni