ARCHITECTURE | Diverses missions sous un même toit

22.03.2023 Anne-Marie Nicole

La résidence Les Hirondelles a trois particularités: elle se dresse sur les structures existantes d’une ancienne usine d’argenterie, elle réunit sous le même toit plusieurs missions différentes et … elle abrite une centaine de nids de la plus importante colonie d’hirondelles de la région!

Les Hirondelles. Voilà un nom qui n’est pas usurpé! La résidence qui porte ce nom se situe à Clarens, dans le canton de Vaud, au bord du lac Léman, à quelques encâblures de Montreux. Elle a été construite sur l’ancienne usine Béard, un fleuron industriel de la région qui a fabriqué, depuis le début du 20e siècle et jusqu’à sa fermeture en 2007, de l’argenterie et d’autres articles en acier inoxydable pour l’hôtellerie. En 2013, la Fondation Claire Magnin est sollicitée pour reprendre le bâtiment et en faire un centre de prestations à la personne âgée. Or, cette bâtisse a toujours abrité sous son avant-toit la plus importante colonie d’hirondelles de la région! En accord avec les défenseurs de la faune et de la flore, la fondation maître de l’ouvrage a retardé et adapté le planning des travaux de transformation de l’ancienne usine pour tenir compte de la période de nidification des hirondelles entre mars et septembre. Elle s’est également engagée à reconstruire une centaine de nids sur la nouvelle structure, s’y reprenant même à deux fois en raison d’infiltrations d’eau qui rendaient les nichoirs peu accueillants!

Depuis l’ouverture de la résidence, en 2019, les hirondelles et les personnes âgées vivent en bonne harmonie. Mais la transformation du bâtiment et son changement d’affectation n’ont pas été une mince affaire. «Le fonctionnement d’une usine et celui d’un établissement médico-social sont aux antipodes!», fait remarquer Stéphane Cottet, l’architecte du lieu, responsable du bureau Dias-Cottet Architectes et devenu, depuis, membre du conseil de la Fondation Claire Magnin. S’il reconnaît qu’il est plus simple et moins onéreux de faire table rase et de construire à neuf, il a néanmoins relevé le défi avec «respect et humilité», faisant dialoguer l’histoire et la modernité. «Nous ne pouvions pas faire n’importe quoi. Nous devions tenir compte de l’histoire et respecter l’architecture industrielle de l’usine sans dénaturer sa structure», souligne-t-il.

Quatre missions sous un même toit

La réhabilitation du bâtiment industriel a permis de concrétiser l’ambition de la Fondation Claire Magnin: réunir sous un même toit plusieurs missions différentes répondant à l’évolution des besoins des bénéficiaires, soit plus d’une centaine de personnes âgées au total. De fait, le bâtiment d’origine, construit sur trois niveaux en forme de U, a été conservé et surmonté de deux étages aux allures contemporaines qui ferment le U et créent ainsi une cour intérieure à ciel ouvert. Les façades de la surélévation ont été recouvertes de panneaux de métal léger, un clin d’œil à l’activité passée du site.
La réaffectation de l’ouvrage a nécessité une collaboration intense avec les ingénieurs tant il a fallu étudier différents systèmes de construction pour ne pas fragiliser l’ossature existante, peu statique.

«Nous cultivons ici la même philosophie d’accompagnement que dans toutes les autres structures de la fondation: donner de la vie et du sens.»

L’entrée principale de la résidence Les Hirondelles débouche sur un vaste hall, largement éclairé en son centre par une verrière végétalisée. L’avant est occupé par un desk d’accueil et une cafétéria. Dans le fond, deux salles à manger sont réservées aux résidentes et résidents et un restaurant ouvert aux proches. L’espace, qui s’apparente à une place du village, est bordé de plusieurs locaux qui auraient dû abriter des boutiques, des cabinets médicaux et d’autres services. Mais le Covid est passé par là, coupant les élans créatifs. De l’idée de départ subsistent un cabinet médical et un salon de coiffure, les autres espaces étant actuellement affectés à la direction des soins, au bureau des référentes hôtelières et aux services de l’animation. Le projet initial n’est pas abandonné pour autant, il a simplement été différé.

Des matières et des couleurs

Comme dans d’autres structures médico-sociales, un soin particulier a été apporté aux matériaux, pour marquer la gradation entre les espaces privés, semi-privés et publics. «J’ai visité de nombreux établissements pour comprendre le choix des matériaux et trouver des solutions architecturales pour atténuer la dimension hospitalière», raconte Stéphane Cottet. Dans ce bâtiment où l’on perd facilement le sens de l’orientation, des repères de couleur ont été utilisés: le bleu pour le nord rappelant l’hiver, le jaune pour le sud et l’été, le vert pour l’est et le printemps et le violet pour l’ouest et l’automne. Les tissus des différents salons dispersés aux quatre coins des étages ont été expressément choisis dans les coloris correspondants. Il arrive cependant parfois qu’un fauteuil vert se retrouve mystérieusement à côté d’un canapé violet ou qu’une chaise jaune illumine le bleu de l’hiver… Comme quoi, les concepts sont faits pour vivre et évoluer!

Les unités d’accompagnement et de soins sont réparties dans les étages, regroupées par mission. Ainsi, l’unité gériatrique de vingt-quatre lits occupe les anciens ateliers du premier étage et jouit d’une cour intérieure. Conçues sur l’ancienne structure, suivant la géométrie des piliers d’origine, les chambres sont ici plus spacieuses que ce qu’autorisent les directives cantonales pour les nouvelles constructions. «Nous avons pensé que les résidentes et résidents de gériatrie profiteraient davantage de ces espaces privés plus généreux», explique Monique Cachin, adjointe de direction de la Fondation Claire Magnin et responsable du domaine socio-éducatif.

Le deuxième étage compte vingt-deux places de psychiatrie vieillissante pour des personnes de 60 ans et plus, bénéficiant d’activités structurantes et individualisées. L’unité psycho-gériatrique accueille trente-cinq personnes au troisième étage lequel dispose d’un espace de déambulation continu. Enfin, le dernier étage, un attique en retrait avec des prolongements extérieurs, propose une dizaine de places de court séjour et d’accueil temporaire de jour. Inspirées de l’approche Montessori, les activités du quotidien s’y déroulent «comme à la maison».

«Nous cultivons ici la même philosophie d’accompagnement que dans toutes les autres structures de la fondation: donner de la vie et du sens», explique Anne Parelle, directrice générale de la Fondation Claire Magnin. Simplement, cette philosophie est déclinée différemment selon les missions.» Chaque collaboratrice et collaborateur est donc appelé à contribuer à la qualité de vie des personnes âgées. «Dans toutes les unités, le concept d’accompagnement respecte les choix et les envies des résidentes et résidents durant la journée», ajoute Monique Cachin. Ainsi, les personnes accompagnées peuvent par exemple librement décider si elles souhaitent prendre leur repas dans leur chambre, dans la salle à manger d’étage ou au rez-de-chaussée. «Le bâtiment offre cette flexibilité, même si cela complique le travail des équipes soignantes, qui ont des temps de déplacement plus longs pour accéder aux différents lieux en fonction des choix de chacune et chacun des résidents», reconnaît l’adjointe de direction.

Les limites de l’intégration

Si les différentes missions sont bien réunies sous un même toit, elles ne sont pas pour autant complètement décloisonnées. Une intégration totale ne serait d’ailleurs pas réaliste, vu les spécificités et besoins particuliers des différentes populations de personnes âgées accueillies, défend Anne Parelle. «De plus, les approches en court séjour ou en long séjour ne sont pas les mêmes et n’impliquent pas les mêmes partenaires du réseau.» Outre leur organisation par étage, les missions sont assurées par des équipes dédiées, disposant de compétences spécifiques, notamment en psycho-gériatrie et en psychiatrie. «L’intérêt du centre de prestations est surtout de nous permettre d’accompagner la personne âgée tout au long de son parcours de vie, sans rupture et selon ses besoins.»

Un autre avantage du centre de prestations réside dans son pouvoir d’attractivité auprès du personnel qualifié. «La diversité des missions favorise le développement professionnel sur le long terme, avec des possibilités de passer d’une mission à l’autre», argumente Anne Parelle. «Nous avons également introduit des formations continues communes, par exemple en psychiatrie de l’âge avancé, ou des supervisions thématiques transversales.»

Depuis l’ouverture de la résidence, il y a quatre ans, les équipes professionnelles ont également appris à se connaître, à se respecter, à comprendre leurs activités réciproques et à se soutenir. Plus qu’ailleurs peut-être, et au-delà de leurs compétences métier, les professionnel·les doivent ici faire preuve d’ouverture, de curiosité, de flexibilité et de polyvalence.

Ces premières années d’exploitation ont permis au personnel et aux bénéficiaires d’apprivoiser les lieux, de s’adapter, d’ajuster l’organisation, de trouver un rythme. «Maintenant que la crise sanitaire est maîtrisée, nous allons pouvoir réinvestir les espaces communs et développer les contacts avec le voisinage», se réjouit Anne Parelle.
 


Photo: Fondation Claire Magnin