Comment les EMS encouragent les talents culinaires

13.05.2025 Christian Bernhart

Des apprenti·es cuisinier·ères d’EMS ont pris la tête du championnat suisse «Gusto 25»: la première place est revenue à Céline Grossmann, de la fondation Stiftung für Betagte à Münsingen (BE), et la deuxième à Nicolas Imholz, de l’EMS Spannort à Erstfeld (UR). Ils s’expriment à ce propos dans un entretien. Dès leur plus jeune âge, à la maison, ils se sont mis aux fourneaux, puis ont cherché des entreprises familiales cultivant l’esprit d’équipe pour vivre leur passion.

«C’était vraiment génial», s’enthousiasme Céline Grossmann, 18 ans, le lendemain. La joie était palpable au moment de la remise des prix «Gusto 25» lors du repas de gala Transgourmet/Prodega au Centre des congrès de Zurich, le 14 mars dernier. Ce n’est pas seulement le prix qui a compté, mais aussi la motivation et la camaraderie que Céline Grossmann et les cinq autres apprenti·es cuisinier·ères ont ressenties, d’abord en s’entraînant ensemble, puis en se mesurant pendant le concours. Céline Grossmann a enlacé spontanément Nicholas Imholz, 18 ans également, lorsqu’il a reçu le deuxième prix.

Les six finalistes du concours de cuisine «Gusto 25» ont toutes et tous été récompensés car le jury les avait sélectionnés au préalable parmi les 112 jeunes qui avaient manifesté leur intérêt. Au préalable, ils ont dû soumettre une proposition de menu, créée selon des instructions spécifiques, comme la préparation de légumes locaux disponibles en mars. Fait remarquable, parmi les six finalistes, trois travaillent dans des EMS: outre Céline Grossmann, qui est employée à la fondation Stiftung für Betagte de Münsingen (BE), et Nicholas Imholz, qui cuisine à l’EMS Spannort d’Erstfeld (UR), Noah Ernst, 16 ans, a également été sélectionné. Il prépare des repas pour les résident·es de l’EMS Betagtenzentrum et les enfants de l’école à journée continue à Laupen (BE). Il a obtenu la quatrième place, aux côtés de deux autres apprenti·es.

Une nouvelle diversité dans les cuisines des EMS

On peut se demander pourquoi les apprenti·es des cuisines des EMS étaient proportionnellement bien plus nombreux au championnat que les apprenti·es des restaurants. Le cliché selon lequel les EMS ont une cuisine standard peu exigeante et forment leurs apprenti·es à préparer des repas adaptés aux personnes âgées ne serait-il donc pas vrai? La question est posée à Lorenz Wegelin, responsable de l’hôtellerie des bientôt cinq établissements du groupe Domicil dans la région de Berne: «Il est vrai que, dans les EMS, les personnes les plus âgées ont une préférence pour la nourriture bien cuite et qu’il peut y avoir des réclamations si un légume a trop de croquant.» Mais il constate également une autre tendance: «Aujourd’hui, une génération qui a beaucoup voyagé dans le monde commence à entrer en EMS.» Il se souvient que dans ses anciens lieux de travail, des plats orientaux, sri-lankais ou thaïlandais, ont été tant appréciés des résident·es qu’ils ont fait leur apparition au menu. À ces occasions, les employé·es de l’EMS cuisinaient des spécialités de leur pays pour les résident·es. Lorenz Wegelin se rappelle des somptueux falafels d’un collaborateur syrien.

Équilibre entre vie privée et vie professionnelle

Lorenz Wegelin confirme toutefois un cliché: contrairement à l’agitation souvent tendue et à l’atmosphère fébrile des restaurants jusqu’à tard dans la nuit, les cuisines des EMS se distinguent par des processus bien rodés, une bonne planification et une ambiance détendue, avec des journées de travail qui se terminent avant 18 heures. «Ce cliché est bien vrai et a des conséquences», relève le responsable. En effet: «Les horaires de travail plus supportables et la compatibilité avec la vie privée incitent de nombreux cuisiniers et cuisinières de la haute gastronomie à briguer un poste de chef·fe dans un EMS ou un hôpital.» Ils transmettent ensuite leur savoir-faire pointu aux personnes en formation.

C’est d’ailleurs ce qui arrivé à Lorenz Wegelin: il a fait son apprentissage à l’Hôpital de l’Île, où il a bénéficié du soutien d’un chef cuisinier qui avait quitté les fourneaux d’un grand restaurant par égard pour sa famille. Il a ainsi remporté le championnat suisse il y a vingt ans, lors de la première édition du concours de cuisine «Gusto». Lorenz Wegelin a lui aussi pratiqué l’art de la haute gastronomie, notamment au restaurant Schöngrün à Berne, avant de rejoindre la cuisine d’un EMS pour la raison évoquée plus haut. Ce que le responsable estime particulièrement important pour la cuisine en EMS, et les participant·es au championnat le confirment, est la préparation de légumes frais du marché, provenant si possible de la région – à l’exception des petits pois et des épinards, qui sont congelés.

Aux fourneaux dès l’enfance

Cet environnement de formation, avec un encadrement pendant deux ou trois ans, est-il toutefois suffisant pour se hisser à la tête du championnat suisse? Probablement pas, mais les cuisines des EMS sont en train de préparer le terrain. Les parcours de vie de Céline Grossmann et de Nicolas Imholz montrent qu’en réalité, ils ont déjà suivi une formation de près de dix ans, en commençant par le fourneau familial. De plus, il s’avère que les parents des deux jeunes, ainsi que ceux de Noah Ernst – en particulier les pères de Céline et de Noah – les ont laissé cuisiner dès l’enfance et leur ont transmis leur passion. Mon père est un grand passionné de cuisine, nous avions donc des appareils de cuisson sous vide professionnels à la maison», raconte Céline Grossmann, qui ajoute: «Nous avons toujours cuisiné ensemble et, le samedi, nous parcourions les stands du marché, où je pouvais acheter les légumes qui me plaisaient.» Sa mère, qui a été la première femme au service du célèbre chef Philippe Rochat à Crissier, l’a soutenue sans faille. Pour Noah Ernst aussi, c’est son père qui lui a fait aimer la cuisine. Quant à Nicolas Imholz, sa mère Antonia l’a mis aux fourneaux dès l’âge de huit ans. Et avec succès, comme raconte Nicolas: «À l’école secondaire, quand j’avais 12 ans, j’ai commencé à cuisiner le midi pour toute la famille.» Une fois le repas sur la table, il téléphonait à ses parents, Antonia et Bruno, qui gèrent le magasin du village à Isenthal.

Passion et routine

Plus tard, leur réseau familial valorisant a joué un rôle déterminant dans le choix d’une place d’apprentissage. Même si Noah Ernst s’est senti à l’aise lors de stages dans divers restaurants, il a opté pour l’EMS Betagtenzentrum à Laupen car les horaires de travail bien planifiés lui permettaient de rencontrer ses camarades et de pratiquer du sport le soir. Quant à Nicolas Imholz, son choix s’est porté sur une cuisine d’EMS parce que le dernier car postal pour Isenthal part d’Altdorf à 17 h 21. Après trois stages, c’est l’EMS Spannort, à Erstfeld, qui l’a le plus convaincu. Qant à Nicolas Imholz, son choix s’est porté sur une cuisine d’EMS parce que le dernier car postal pour Isenthal part d’Altdorf à 17 h 21. Après trois stages, c’est l’EMS Spannort, à Erstfeld, qui l’a le plus convaincu.

Céline Grossmann a obtenu sa place à la fondation Stiftung für Betagte de Münsingen dès l’âge de 14 ans, après avoir appris que la cheffe avait elle aussi participé au concours de cuisine. Avec l’ambition de faire de même, elle est partie en quête de connaissances un an avant de commencer son apprentissage: quatre mois dans la cuisine emplie de fumée et de sorcellerie de Stefan Wiesner à Escholzmatt, un mois auprès du confiseur Rolf Mürner à Rüeggisberg, un stage de trois mois à la fromagerie de Zäziwil, quatre mois à la boucherie Jumi de Jürg Wyss, une semaine dans une ferme à Trimstein et un jour dans un abattoir. Elle s’est également familiarisée avec la cuisine malaisienne au restaurant Bahnhof à Worb.

Céline Grossmann a intégré ces expériences et influences culinaires au menu préparé pour le championnat: entrée aux saveurs asiatiques composée d’oignons marinés et de kimchi (chou chinois fermenté) avec onglet de bœuf sauté servi sur un bao bun aéré et légèrement sucré. Les oignons braisés au miso, garnis d’un entrelacs de chips d’oignon, cendres d’oignon comprises, ont rappelé la cuisine de Stefan Wiesner. Alors que la plupart de ses adversaires ont misé sur les carottes, elle a servi des salsifis noirs cuits sous vide enrobés d’ail et d’oignons frits. Pour le plat principal, elle a choisi un morceau tendre de bœuf piémontais de la boucherie Jumi, mariné dans une sauce Teriyaki et prédécoupé, qu’elle a préparé sur un grill japonais. Enfin, elle a présenté une croquette de pomme de terre avec de la boule de Belp râpée.

Nicolas Imholz n’a pas pu rivaliser avec ces riches saveurs, mais son menu a séduit par le mariage original des cuisines uranaise et tessinoise: petit tender de bœuf et rondelles de carottes confites avec saucisse à la truffe d’Uri et polenta du Tessin farcie aux épinards et à la ricotta. Auparavant, il avait complété sa longue expérience en cuisine par un stage de trois semaines chez Silvio Germann, dans la cuisine du chef Andreas Caminada

Céline Grossmann et Nicolas Imholz sont sur le point de terminer leur formation. Où les retrouvera-t-on à l’avenir? Après son école de recrue, Nicolas Imholz aimerait travailler dans la haute gastronomie. Quant à Céline Grossmann, elle envisage de cuisiner en équipe et de faire découvrir aux hôtes l’origine des produits utilisés. À titre d’exemple, elle cite «l’agriculture solidaire Setzhouz» à Trimstein, une coopération d’exploitations et de consommateur·trices, où elle est responsable de la cuisine. Elle va d’abord profiter de son prix, un séjour culinaire de trois semaines à Singapour, avant de lancer son propre service traiteur en août


Photo: Gusto 25