DROITS DE L'HOMME | S’adapter à chaque situation et relever de nouveaux défis au quotidien

13.05.2025 Salomé Zimmermann

Dans presque tous les EMS, les personnes atteintes de démence vivent dans des unités fermées. Au centre de santé pour personnes âgées Bachwiesen, situé dans le quartier zurichois d’Albisrieden, ces personnes se déplacent toutefois librement et ont accès à toutes les pièces ainsi qu’à l’espace extérieur. Daniel Zimmermann, spécialiste de la démence, et Snezana Celikic, responsable du service des soins, expliquent comment ce concept d’institution ouverte fonctionne au quotidien.

Le centre de santé pour personnes âgées Bachwiesen se situe au cœur du quartier zurichois d’Albisrieden. Depuis l’arrêt de tram, il suffit de traverser une zone résidentielle puis de longer un ruisseau pendant quelques minutes pour arriver devant le bâtiment principal. On ne remarque pas tout de suite qu’il s’agit d’une institution pour personnes âgées: cela pourrait très bien être un petit immeuble comme il y en a tant aux alentours. Le rez-de-chaussée accueille un restaurant, qui est aussi apprécié du voisinage, surtout des enfants. La terrasse dispose de chaises et de tables, d’un jardin et d’un étang à poissons qui attire jeunes et moins jeunes. «Cette ouverture à l’ensemble de la population du quartier est voulue», explique Daniel Zimmermann, qui travaille au centre de santé en tant que spécialiste de la démence.

Maison ouverte avec liberté de mouvement

Le centre de santé Bachwiesen se distingue par son concept d’institution ouverte. L’objectif est d’offrir aux personnes atteintes de démence le plus d’autonomie et de «normalité» possible. En effet: «La proportion de personnes atteintes de démence augmente, dans nos institutions comme dans d’autres, en raison du vieillissement de la population et du fait que les gens peuvent rester plus longtemps chez eux grâce à l’aide à domicile», explique Daniel Zimmermann. Le concept d’institution ouverte repose sur les recommandations nationales DemCare, qui ont été développées dès 2013 dans les centres de santé pour personnes âgées de la ville de Zurich. La brochure «La prise en soins de personnes atteintes de démence vivant dans un cadre institutionnel: recommandations à l’attention des établissements médico-sociaux» a été adaptée en juin 2020 dans le cadre de la Stratégie nationale en matière de démence 2014-2019 et illustre pour ainsi dire l’accompagnement idéal de ces personnes. Le centre de santé pour personnes âgées Bachwiesen dispose notamment de trois unités accueillant chacune quinze personnes atteintes de démence. Un élément fondamental de l’institution ouverte est la liberté de mouvement, celle des personnes atteintes de démence étant souvent fortement restreinte en raison des espaces de vie fermés. Au centre de santé d’Albisrieden, en revanche, les personnes atteintes de démence se déplacent librement pendant la journée. L’ensemble du bâtiment leur est accessible, de même que toutes les pièces, le grand jardin et l’espace extérieur. Ces personnes portent un dispositif d’alarme au poignet pour prévenir les fugues, qui se déclenche si elles quittent le vaste périmètre discrètement clôturé. L’employé·e travaillant ce jour-là au «service extérieur» reçoit alors un message et se rend sur place pour raccompagner la personne. «Lorsque nous avons opté pour cette ouverture il y a quelques années, nous avions peur que plusieurs résidentes ou résidents quittent en même temps le périmètre et que nous ne parvenions pas à les ramener à temps», explique Snezana Celikic, responsable du service des soins. Heureusement, cela ne s’est jamais produit. Il arrive que, peu après leur entrée au centre de santé, des personnes souhaitent retourner chez elles, mais cela devient plus rare par la suite. Le phénomène le plus fréquent est le syndrome du coucher de soleil, lorsque les personnes croient devoir rentrer chez elles au crépuscule, par exemple pour préparer le repas.

Davantage de satisfaction, moins de médicaments

La peur initiale d’une hausse des chutes ne s’est pas non plus confirmée, bien que les résidentes et résidents se déplacent aussi seuls. «Le terrain plat et l’absence de grande route dangereuse juste devant le pas de la porte représentent sans aucun doute un avantage», constate Daniel Zimmermann. L’intégration dans le quartier résidentiel est aussi favorable, car certaines personnes des immeubles voisins connaissent une partie des résidentes et résidents et les aident à s’orienter ou apportent leur soutien à titre bénévole. Les effets positifs sur l’état de santé des résidentes et résidents sont remarquables: «Depuis que nous fonctionnons en tant qu’institution ouverte, les personnes atteintes de démence sont plus satisfaites et nous avons besoin de bien moins de médicaments», explique Snezana Celikic. Pour le personnel, le concept d’institution ouverte implique aussi de s’orienter fortement vers les différents besoins des personnes, par exemple en proposant un buffet de petit-déjeuner jusqu’à 10 heures afin que chaque personne puisse manger lorsqu’elle a faim. Dans l’unité de démence, un accompagnement est en outre mis en place pour le petit-déjeuner les jours de semaine. C’est une présence régulière qui donne aux résidentes et résidents un sentiment de sécurité et décharge l’équipe soignante. «Toutes les unités du centre de santé sont impliquées dans l’accompagnement: il est de la responsabilité commune de l’ensemble du personnel de répondre aux besoins des personnes atteintes de démence et de leur offrir la liberté qu’implique une institution ouverte.»

Étant donné que ces personnes peuvent réagir de manière très imprévisible et que des agressions se produisent parfois, tous les collaborateurs et collaboratrices doivent posséder certaines connaissances de base. «Nous proposons régulièrement des formations consacrées à l’accompagnement des personnes atteintes de démence pour l’ensemble du personnel», indique Daniel Zimmermann. Il organise en outre un «Café Démence», lors duquel le personnel peut discuter dans un cadre informel de situations et lui demander conseil directement. Il constate que l’équilibre entre la sécurité et l’autodétermination des personnes n’est pas simple à gérer pour le personnel et qu’il est parfois difficile de savoir quand il est nécessaire d’intervenir dans la sphère privée, par exemple pour des raisons de sécurité.

«Le terrain plat et l’absence de grande route dangereuse juste devant le pas de la porte représentent un avantage.» Daniel Zimmermann, spécialiste de la démence

Selon Daniel Zimmermann, les mesures restreignant la liberté de mouvement sont utilisées avec beaucoup de retenue et uniquement après un entretien interprofessionnel entre le personnel soignant, les spécialistes, les médecins et les proches. La stimulation basale, les offres gustatives, l’aromathérapie, les enveloppements thérapeutiques, la zoothérapie et l’accompagnement spirituel sont utilisés pour promouvoir le bien-être des résidentes et résidents. Afin de discuter de questions, de thèmes et de mesures dans un cadre plus large, un «Café Éthique» est organisé environ trois fois par an pour le personnel. Quant au «Forum Éthique», dirigé par un spécialiste externe de l’éthique et où toutes les disciplines sont représentées, il permet d’aborder des sujets difficiles. L’objectif de cette mesure est de développer une attitude commune.

Plus de sensibilité, moins de perfectionnisme 

Quelles sont les situations difficiles pour le personnel ou les autres résidentes et résidents? Les personnes qui ne sont pas atteintes de démence peuvent se sentir dérangées lorsqu’une personne, ne sachant plus où se trouve sa propre chambre, s’assied sur leur lit. Il arrive aussi que le personnel ou des résidentes et résidents soient accusés de vol parce que la personne atteinte de démence a égaré ses objets de valeur. Ou encore que le personnel de nettoyage ne sache pas comment réagir quand une personne atteinte de démence s’approche de trop près. Le dialogue et l’attitude commune renforcent le sentiment d’appartenance, favorisent l’entraide, et donc une meilleure culture, dont tout le monde bénéficie. «Il est important de persévérer; c’est un processus continu, qui ne se termine jamais», souligne Snezana Celikic. Outre faire preuve de ténacité, le personnel doit aussi «lâcher un peu les rênes». Il s’agit d’être moins perfectionniste: «Si une personne veut rester toute la journée en pyjama parce que c’est confortable, elle peut le faire.» Auparavant, la propreté et l’ordre étaient la norme, et tout devait se dérouler comme prévu. «Maintenant, nous tenons davantage compte de l’autonomie de chaque individu», explique Snezana Celikic. «Nous, les membres du personnel, nous nous considérons désormais comme des invités chez les résidentes et résidents», conclut-elle.

Malgré tous les efforts fournis et le soutien apporté, travailler avec les personnes atteintes de démence, qui sont souvent sur des montagnes russes émotionnelles, ne convient pas à tout le monde. «Cela demande beaucoup de sensibilité et d’attention», estime Daniel Zimmermann. Il raconte par exemple qu’une petite lampe de chevet aide un résident à mieux dormir ou qu’une courte prière du soir récitée avec une résidente lui apporte du réconfort. Plus on en sait sur la vie d’une personne, mieux on peut réagir de manière appropriée, surtout en cas de crise. Un personnel qualifié faisant preuve de beaucoup de patience et de flexibilité joue un rôle décisif, estime Snezana Celikic. En effet: «L’humeur des personnes atteintes de démence peut changer en une seconde – les jours ne se ressemblent donc jamais.» Beaucoup de collaborateurs et collaboratrices apprécient cette variété, la nécessité de s’adapter à chaque situation et relever de nouveaux défis au quotidien.


Photo: Centres de santé pour personnes âgées de la ville de Zurich