LA QUALITÉ | Améliorer la qualité des soins grâce à des données fiables

31.10.2025 Anne Vallelian

Comment faire évoluer la qualité des soins de longue durée au-delà des bonnes intentions ? En s’appuyant sur des données fiables et partagées. C’est le pari du programme national NIP-Q-UPGRADE, auquel a pris part le Réseau Santé de la Sarine dans l’une de ses unités d’EMS. Retour sur une expérience pilote qui a permis de donner du sens aux chiffres et d’initier un dialogue sur la qualité des soins.

Depuis quelques années, les établissements médico-sociaux (EMS) suisses doivent collecter et transmettre des données sur plusieurs aspects clés de la qualité des soins, comme la douleur, la malnutrition, les contentions physiques ou la polymédication. Ces informations, centralisées au niveau national, visent à suivre l’évolution des pratiques et à encourager la transparence. La Commission fédérale de la qualité (CFQ), qui soutient le Conseil fédéral dans l’amélioration de la qualité des prestations médicales, a lancé et financé le programme national de mise en application – Qualité des soins de longue durée dans les établissements médico-sociaux (NIP-Q-UPGRADE), afin d’accompagner les EMS dans ce processus.

Quand la qualité se mesure mieux, elle progresse

L’amélioration de la qualité dans les soins stationnaires de longue durée reste un objectif largement partagé. Encore faut-il disposer de données solides pour orienter les efforts. C’est précisément la mission du programme NIP-Q-UPGRADE. En octobre 2024, le Réseau Santé de la Sarine est approché pour rejoindre le projet, à l’initiative de membres du programme NIP-Q-UPGRADE ainsi que de l’AFISA (Association fribourgeoise des institutions pour personnes âgées et de l’aide et des soins à domicile). «On s’est dit que c’était une bonne opportunité pour tester les indicateurs qualité dans notre réalité clinique, et prendre une longueur d’avance», raconte Justine Wicht, responsable du pôle compétences et qualité au sein du Réseau Santé de la Sarine.

Le réseau comprend, entre autres, un service d’aide et de soins à domicile ainsi qu’un EMS, le Home médicalisé de la Sarine. C’est au sein de cet établissement qu’a été menée l’expérience, avec le choix délibéré de travailler d’abord sur une seule unité. Le projet pilote laissait en effet une grande liberté aux équipes pour sélectionner leur contexte et avancer à leur rythme, et c’est ainsi que, dès janvier 2025, l’équipe s’est lancée.

Du chiffre à l’action : former, fiabiliser, comprendre

Le projet pilote s’est déroulé en deux grandes étapes. La première a consisté à travailler la qualité des données elles-mêmes. Formée en amont par NIP-Q-UPGRADE, Caroline Gachet a ensuite accompagné les équipes sur le terrain: comment saisir correctement les informations, uniformiser les pratiques, s’assurer que chaque donnée reflète bien la réalité clinique. «Comme beaucoup d’EMS, c’était nouveau pour nous, explique Caroline Gachet, infirmière clinicienne spécialisée au sein du pôle compétences du Réseau Santé de la Sarine qui a activement participé aux formations. Prendre part à ce projet pilote nous a permis de tester, d’apprendre comment rendre nos données fiables et d’avoir une longueur d’avance.» Pour soutenir ce travail, une boîte à outils a été mise à disposition par le NIP-Q-UPGRADE : supports pédagogiques validés par des expertes et experts, recommandations pratiques, méthodes pour accompagner les équipes et vérifier la cohérence des données. Cette première phase a permis d’assainir la base d’information, indispensable pour la suite.

La deuxième étape a porté sur la mise en projet à partir des données validées. Les équipes ont appris à analyser leurs propres résultats, à les confronter à leur réalité clinique et à identifier des pistes d’amélioration concrètes. «Les statistiques viennent de l’Office fédéral de la santé publique, mais on voulait les relier à notre quotidien, souligne Justine Wicht. Ce travail a été très précieux: il nous a permis de transformer des chiffres nationaux en leviers d’action adaptés à notre contexte. Cela donne plus de sens et rend la démarche plus motivante.»

Choisir un indicateur pertinent

Pour cette phase pratique, l’équipe a décidé de se concentrer sur l’indicateur qualité de la polymédication, un sujet déjà présent dans les réflexions médicales du Home médicalisé de la Sarine. «Si une résidente ou un résident prend neuf principes actifs ou plus sur une période de sept jours, on parle de polymédication», explique Caroline Gachet. Le travail mené jusqu’ici a surtout permis de poser des bases solides: s’assurer que tout le monde compte les principes actifs de la même façon, éviter les erreurs qui fausseraient les données et redonner du sens à ce qui est mesuré. L’équipe n’en est pas encore à modifier des traitements — ce qui nécessiterait un dialogue approfondi avec les médecins, les résidentes et résidents ainsi que les proches —, mais elle dispose désormais de données fiables pour envisager ces discussions plus tard, sur des bases cliniquement justes.

Des résultats qui dépassent l’unité pilote

En juin 2025, la phase pilote s’est achevée. L’EMS ressort avec des données de meilleure qualité, une démarche structurée et des équipes sensibilisées à l’usage des indicateurs. Le succès a convaincu la direction d’élargir progressivement l’approche au-delà de l’unité test. Les collaboratrices et les collaborateurs ont aussi découvert que chacune et chacun, à son niveau, contribue à la fiabilité des données et donc à la qualité des soins. Le prochain pas? Associer davantage les résidentes et les résidents ainsi que leurs proches à cette réflexion, une fois les bases méthodologiques solidement posées.

Une culture qualité qui s’installe

Ce projet pilote illustre comment un travail rigoureux sur les données peut transformer une démarche qualité parfois abstraite en actions concrètes. Son succès a surtout reposé sur un travail patient mené sur le terrain, avec le soutien des équipes du Home médicalisé de la Sarine. «Sans leur adhésion, nous n’aurions pas pu arriver aux résultats que nous avons obtenus», affirme Justine Wicht. Un grand travail d’explication a également été mené. «Il était primordial que chacune et chacun comprenne comment ses propres saisies pouvaient influencer la qualité des données et, in fine, celle des soins», souligne Caroline Gachet.

Le soutien de l’équipe NIP-Q-UPGRADE a aussi été une réelle plus-value. «Participer à ce projet nous a permis d’initier une vision de la qualité à l’échelle de tout l’établissement et de poser les bases d’une démarche durable. On le voit très positivement: ce projet nous a mis le pied à l’étrier pour développer une véritable culture qualité», relèvent-elles. Grâce à cette implication collective et au portage institutionnel, la démarche s’est ancrée dans l’établissement et commence à se déployer dans d’autres unités. Elle marque un tournant : la qualité est un travail concret qui prend naissance sur le terrain et repose avant tout sur l’engagement des équipes.