LES DROITS DE L'HOMME | Les droits de l’enfant en pratique

Corinne Stöckli, du foyer pour enfants Titlisblick à Lucerne, explique les opportunités et les difficultés dans la gestion des droits de l’enfant. Marc Freivogel, de l’École supérieure de la santé et du travail social à Aarau, revient sur les principaux contenus de la formation. Le chatbot de la nouvelle plate-forme en ligne «kidlex» fournit des informations complémentaires précieuses sur les droits de l’enfant.
Les droits de l’enfant servent à protéger les enfants et les jeunes contre les abus, la violence et la négligence. Ils promeuvent l’accès à l’éducation et aux soins de santé, qui sont décisifs pour le développement physique et mental des enfants. La mise en œuvre de ces droits renforce également la participation, encourageant ainsi l’autonomie et le sens des responsabilités. Enfin, les droits de l’enfant contribuent à l’égalité des chances. En résumé, les droits de l’enfant se composent des cinq dimensions suivantes: l’intérêt de l’enfant comme premier principe, le droit à la participation, le droit à la protection, le droit au développement et à l’encouragement et enfin le droit de grandir sans discrimination.
Information des enfants
Les professionnel∙les doivent appliquer les droits de l’enfant dans leur travail quotidien et contribuer à des évolutions positives chez les enfants. Corinne Stöckli, du foyer pour enfants Titlisblick à Lucerne, explique comment cela fonctionne en pratique. Le foyer abrite vingt-huit enfants de toute la Suisse centrale, répartis dans quatre unités de vie. Corinne Stöckli est cheffe de groupe de l’une de ces unités, qui accompagne des nourrissons et enfants jusqu’à environ l’âge de 7 ans. Les droits de l’enfant jouent-ils effectivement un rôle important dans son quotidien? «Les droits de l’enfant sont pour ainsi dire le fondement de notre existence», affirme Corinne Stöckli. Chaque enfant peut prétendre à la protection et au développement. Les enfants dont les parents et les personnes de référence ne garantissent pas ce droit à un moment donné sont amenés au foyer, à la demande de l’APEA. Avec les parents, les éventuels curateurs ou curatrices et les autorités, le personnel du foyer s’assure que les enfants sont dans de bonnes conditions pour se développer et qu’ils retourneront chez leurs parents ou dans une autre structure comme une famille d’accueil dès qu’une solution de transition stable et adaptée se présentera. Les solutions de transition sont soigneusement mises en place, car «il faut éviter que les enfants ne deviennent l’objet de conflits entre les parents», explique Corinne Stöckli. L’intérêt de l’enfant sert toujours de point de repère. «Nous représentons le point de vue des enfants et défendons leurs intérêts», poursuit-elle.
Pour elle et ses collaboratrices et collaborateurs, il est important d’informer les enfants. Ils doivent savoir pourquoi ils séjournent temporairement au Titlisblick, mais aussi ce qui les attend. Selon Corinne Stöckli, le quotidien est une recherche permanente du juste équilibre entre le besoin de sécurité et la liberté de choix des enfants. En effet, le besoin de sécurité des enfants en institution est important, parce que le plus souvent, ils ont vécu des situations qui ne leur ont apporté ni la sécurité ni la structure nécessaire. Ils ont donc besoin d’une grande prévisibilité et doivent apprendre à faire confiance et supporter les incertitudes, d’où l’importance des rituels et d’un déroulement clair des journées. Les droits à la sphère privée et à la codécision sont pris en considération dans la mesure où les enfants ont par exemple le droit de participer à l’aménagement de leur chambre, où personne ne peut faire irruption sans frapper. Dans le même temps, pour prévenir les abus sexuels, le personnel n’est pas autorisé à fermer entièrement la porte quand il est seul avec un enfant. Le week-end, les enfants peuvent participer à l’élaboration du menu et à la préparation des repas.
Renforcement de la relation avec les parents
La relation avec les parents ne doit pas être négligée, car un foyer pour enfants est un foyer temporaire. Les parents sont donc impliqués eux aussi et formés, notamment selon la méthode Marte Meo, qui met l’accent sur les points forts, et non pas les points faibles, que cela soit chez l’enfant, les parents ou le personnel. Comme l’explique Corinne Stöckli, les droits de l’enfant sont pris en compte chaque jour dans toutes les actions, mais le plus souvent, on n’en parle pas directement. Le bien de l’enfant est la préoccupation majeure. Et comment le personnel thématise-t-il les droits de l’enfant avec les enfants? «Pour les bébés, nous prêtons attention à la mimique et aux pleurs. Nous faisons comprendre aux enfants en bas âge que personne n’a le droit de leur faire mal et qu’ils ont le droit de dire stop s’ils se sentent mal à l’aise.» Et la cheffe de groupe d’ajouter: «Les enfants plus jeunes apprennent de leurs aînés».
«Le quotidien est une recherche permanente du juste équilibre entre le besoin de sécurité et la liberté de choix des enfants». Corinne Stöckli, cheffe de groupe au foyer pour enfants Titlisblick.
Interrogée sur les difficultés liées à la mise en œuvre des droits de l’enfant, Corinne Stöckli répond par deux exemples concrets. Le personnel a-t-il le droit de tenir un enfant qui a peur de la piqûre chez le médecin? Il est parfois nécessaire de faire appel à ses parents ou aux curateur·trices, mais le médecin peut aussi décider en fonction du degré d’urgence. Les familles nombreuses représentent une autre difficulté. Afin de ne pas séparer les frères et sœurs, les enfants âgés de plus de sept ans ont également le droit de séjourner dans le foyer. Mais cela devient difficile quand le nombre d’enfants d’une même famille est trop élevé et que les différences d’âge sont trop importantes. Ainsi, parfois, les différents droits de l’enfant sont en contradiction mutuelle, par exemple lorsque les parents apportent beaucoup de sucreries à leurs enfants quand ils viennent leur rendre visite avant le repas de midi. Il y a alors un conflit entre le droit de l’enfant à une alimentation saine et celui d’avoir une bonne relation avec ses parents. Il faut alors gérer la situation de façon respectueuse et faire gentiment la remarque aux parents. Mais parfois, cela ne sert à rien d’en parler.
Meilleure reconnaissance des droits de l’enfant
«Aujourd’hui, les droits de l’enfant sont davantage ancrés dans les consciences qu’autrefois. Les enfants sont plus impliqués et on leur explique mieux les choses», affirme Corinne Stöckli. Elle ajoute que l’on voit mieux l’individualité des enfants et leurs points forts, et que l’on accorde plus d’importance que par le passé à leur sphère privée, mais que la conciliation entre les droits des parents et ceux des enfants tient toujours d’un exercice d’équilibrisme.
Les souhaits que la cheffe de groupe formule pour l’avenir concernent la prise de conscience de la société et des politiques: «J’espère que les enfants en institution ne seront plus considérés comme des victimes et qu’ils n’auront pas à subir la stigmatisation.» Il est important que les enfants ayant besoin d’être protégés disposent d’un lieu sûr et découvrent de nombreuses possibilités de développement. Corinne Stöckli insiste en outre sur le fait que les institutions doivent veiller à réduire les ruptures relationnelles et les interruptions dans l’accompagnement, notamment quand les enfants doivent changer d’institution en raison de leur âge. Enfin, elle souhaite un renforcement des offres préventives, pour que les familles dépassées obtiennent de l’aide plus rapidement.
Développement de sa propre attitude
Le thème des droits de l’enfant est une composante essentielle de la formation des futurs éducateurs et éducatrices sociales, comme le souligne Marc Freivogel, qui enseigne l’éducation sociale à l’École supérieure de la santé et du travail social d’Aarau. «En revanche, je vois encore un potentiel de développement dans le lien concret avec les bases légales de la Convention relative aux droits de l’enfant de l’ONU», explique-t-il. S’agissant des personnes en situation de handicap, les étudiantes et étudiants se réfèrent tout naturellement à la CDPH dans leur argumentation. Pour les droits des enfants et des jeunes, ce n’est pas encore aussi souvent le cas. Et Marc Freivogel de poursuivre: «Si les droits de l’enfant sont mentionnés explicitement, ils auront plus de poids et pourront être encore mieux utilisés comme argument pour défendre les intérêts des jeunes». Des dilemmes peuvent toutefois surgir lors de l’examen des droits de l’enfant, notamment lorsqu’ils se contredisent. C’est par exemple le cas quand les éducateurs ou éducatrices sociales aident les enfants et les jeunes à se servir des médias de façon autonome tout en les protégeant des contenus non adaptés à leur âge. Pour gérer de tels dilemmes, Marc Freivogel se sert souvent d’exemples concrets tirés de la pratique, qui font l’objet de discussions de groupe avec les étudiantes et étudiants. «Il y a rarement une bonne solution, mais toujours plusieurs variantes, d’où le rôle tout à fait décisif d’une attitude professionnelle», affirme l’enseignant. Cette attitude est dictée par l’intérêt des enfants et des jeunes, qui sont mis sur un pied d’égalité. Selon Marc Freivogel, il importe aussi de faire preuve d’autocritique face à ses propres actions, de les examiner et d’y réfléchir. Dans la formation, les enseignant·es et les étudiant·es ont la possibilité de réfléchir à leurs propres actions et de les remettre en question, sans pression. En pratique, il manque souvent du temps pour cela, car il faut réagir rapidement. «Une attitude professionnelle ne s’acquiert pas en un seul module. Son développement intervient tout au long de la formation, et même au-delà», affirme Marc Freivogel, qui ajoute: «La tâche de la formation en éducation sociale n’est donc pas de transmettre des connaissances, mais de créer des espaces d’expérience qui rendent capables d’agir ou, pour simplifier, d’écouter, de discuter et de négocier». Cela peut se faire en groupe à l’école ou en équipe sur le lieu de travail. Depuis quelques semaines, il est possible d’utiliser une intelligence artificielle, ou chatbot, comme partenaire de discussion supplémentaire. La plateforme en ligne «kidlex» propose une multitude d’informations utiles sur les droits de l’enfant. Élaborée par Youvita (lire l’encadré), kidlex donne accès à de nombreux outils et peut être un premier point de contact en cas de questions sur les droits de l’enfant. Cette plateforme aide le personnel pédagogique à prendre des décisions et à mettre en œuvre les droits de l’enfant.
Plateforme en ligne kidlex
YOUVITA a lancé kidlex, une plateforme en ligne spécialisée dans les droits de l’enfant. Elle soutient les spécialistes de l’accompagnement extrafamilial et extrascolaire des enfants et des jeunes en leur fournissant des bases théoriques et des outils adaptés à la pratique. Son chatbot approfondit des problématiques individuelles. Il joue le rôle de partenaire de discussion et de réflexion tout en aidant à évaluer les différentes approches et solutions possibles. Il propose en outre des informations et des outils ciblés en fonction des problématiques et défis individuels. En Suisse, les droits de l’enfant sont solidement ancrés dans la loi, mais leur mise en œuvre est complexe, y compris dans le domaine de l’accompagnement professionnel.
Photo: Foyer pour enfants Titlisblick