«Les problèmes qui nous attendent sont sous-estimés»

La pénurie de personnel qualifié dans le domaine social et des soins va s’aggraver. La prise en soins risque de ne plus pouvoir être assurée, indique Daniel Höchli, directeur d’Artiset. Par le biais d’une résolution, la branche réclame à présent une collaboration entre les parties prenantes, et avant tout entre les deux responsables du financement, soit la Confédération et les cantons. La société n’aura pas d’autre choix que d’allouer davantage de moyens financiers au domaine social et des soins, estime le directeur.
Pourquoi avoir choisi une résolution pour attirer l’attention sur la pénurie de personnel qualifié dans les branches et réclamer des mesures?
D. Höchli: Il est vrai que dans nos branches, la résolution est assez inhabituelle comme moyen pour attirer l’attention du public sur un problème. C’est aussi la première fois qu’Artiset choisit cette voie. Toutefois, il y a une bonne raison à cela. Il y a longtemps que nous avons érigé la pénurie de personnel qualifié en thème principal concernant toutes nos associations de branche. Et nous constatons que le défi à relever est énorme. Dans le domaine des soins, les enjeux sont sans doute les plus grands, mais aussi les mieux ancrés dans la conscience publique. Une étude publiée il y a quelques mois montre que la situation est aussi tendue dans le domaine social.
Vous évoquez la hausse de la demande dans le domaine du grand âge pour ces prochaines années. En parallèle, la vague de départs à la retraite des baby-boomers entraînera une pénurie générale de personnel.
D. Höchli: Et cette pénurie alimente la concurrence. Nos branches ont l’avantage d’offrir un travail porteur de sens. Toutefois, en raison des services du soir ou de nuit et du travail le week-end, ces métiers semblent désavantagés par rapport à d’autres professions, notamment pour l’organisation de la vie de famille.
Il s’agit pourtant de problèmes bien connus et la fédération Artiset redouble d’efforts, notamment en politique, afin d’y remédier. Alors, pourquoi publier une résolution maintenant?
D. Höchli: Voici bientôt deux ans que nous, la direction, abordons ces problèmes lors de nos entretiens avec l’Office fédéral de la santé publique, le Secrétariat général de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux de la santé et celui de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales ainsi qu’avec l’Office fédéral des assurances sociales. Nous n’avons cessé de le répéter: un énorme défi nous attend et nous devons nous attaquer aux problèmes ensemble!
Et ces discussions n’ont pas abouti au résultat souhaité?
D. Höchli: Nous constatons que, même si tout le monde reconnaît l’existence de ce grand défi, il y a une certaine réticence quand il s’agit de le relever ensemble. Comme nous avons l’impression que les problèmes qui nous attendent sont sous-estimés, nous avons maintenant décidé de nous adresser au grand public.
La prise en soins risque de ne plus pouvoir être assurée à long terme.
D. Höchli: Nous voulons vraiment éviter d’en arriver là. Et nous voulons aussi montrer que ce n’est pas à nos membres, c’est-à-dire les employeurs, qu’incombe la responsabilité de garantir l’accès aux prestations à toutes les personnes qui ont besoin de soutien. Les employeurs ont plutôt la responsabilité de bien accompagner les personnes qui leur sont confiées. Toutefois, s’ils ne disposent plus de suffisamment de personnel, ils ne pourront accueillir les personnes concernées que de manière limitée.
Qui souhaitez-vous atteindre au moyen de cette résolution?
D. Höchli: Nous voulons nous adresser à deux groupes cibles. D’une part, à ceux qui ont la responsabilité d’agir: la Confédération et les cantons, surtout, mais aussi les partenaires sociaux et nous, la fédération Artiset avec les associations de branche Curaviva, Insos et Youvita, ainsi que nos membres. Nous montrons qu’il est nécessaire d’agir à différents niveaux.
Et de l’autre, au grand public?
D. Höchli: Oui, nous voulons sensibiliser davantage la population à la nécessité de prendre des mesures, notamment parce que certaines des actions requises auront un impact financier, soit par une utilisation accrue de l’argent des contribuables, soit éventuellement par une adaptation des primes d’assurance-maladie. Face à l’ampleur des défis, nous estimons que le débat sur ces thèmes ne doit pas se cantonner aux milieux spécialisés. Le moment est venu d’attirer davantage l’attention du grand public sur ces problèmes.
La résolution demande en particulier une collaboration entre les différentes parties prenantes pour s’attaquer aux problèmes. Pourquoi insistez-vous sur cette collaboration?
D. Höchli: On peut certes être d’avis que toutes les parties prenantes, à savoir la Confédération, les cantons et les entreprises, doivent simplement remplir leurs missions. Cette logique comporte toutefois deux inconvénients: premièrement, tout le monde risque de penser que ce sont les autres qui doivent agir. Deuxièmement, si chacun fait les choses de son côté, il est impossible d’avoir une vue d’ensemble et de mesurer l’impact réel de nos actions. Un état des lieux commun est nécessaire et nous devons aussi nous engager mutuellement.
Qu’espérez-vous concrètement de cette collaboration?
D. Höchli: Prenons l’exemple des charges administratives, qui représentent un lourd fardeau pour le personnel de nos branches et sont d’origine diverse. Il peut s’agir d’obligations imposées par la Confédération, le canton ou, dans le domaine des soins, les assureurs. En outre, les établissements eux-mêmes ont des règlements internes qui génèrent eux aussi des charges. Pour les réduire, il faudrait se réunir à la même table et examiner où des simplifications seraient possibles. Les doublons concernant la surveillance par les assureurs et les cantons, par exemple, devraient être éliminés.
La résolution porte notamment sur la nécessité de remédier à la pénurie de personnel qualifié en améliorant le financement des prestations: la Confédération et les cantons ont donc un devoir spécifique à cet égard?
D. Höchli: Sur le marché libre du travail, les employeurs ont une certaine marge de manœuvre entrepreneuriale leur permettant d’ajuster les conditions de travail. Les branches fortement réglementées, comme le domaine social et des soins, sont très limitées de ce point de vue, les indemnités perçues par les établissements en échange de leurs prestations entrant dans un cadre bien défini. Si aucune modification n’est apportée au financement des prestations, nous subirons un préjudice. Les organismes payeurs doivent être conscients que ce sont eux qui fixent en grande partie les conditions déterminant l’attrait de nos branches sur le marché du travail.
Appuyez-vous, par cette résolution, la revendication de la branche dans le cadre des débats relatifs à la nouvelle loi fédérale sur l’amélioration des conditions de travail dans le domaine des soins infirmiers?
D. Höchli: Dans le domaine des soins, les adaptations se font via l’assurance obligatoire des soins (AOS) et le financement résiduel des cantons. C’est justement la grande question qui se pose concernant la loi fédérale sur l’amélioration des conditions de travail dans le domaine des soins infirmiers, qui est maintenant soumise au Parlement. Elle contient des mesures ayant un impact financier mais n’en règle pas le financement, laissant les organismes payeurs s’en charger.
Conformément à la résolution, vous demandez donc que la Confédération, les assureurs-maladie et les cantons se réunissent à la même table et aillent au bout des choses?
D. Höchli: La résolution offre un cadre et, dans le domaine des soins, nous disposons désormais d’une loi concrète. Nous demandons donc naturellement que le financement soit réglé dans la loi. Cela doit maintenant être concrétisé. Avec l’introduction du financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires (EFAS), les partenaires tarifaires, soit les assureurs, les cantons et les prestataires, doivent se réunir à la même table et vérifier que les tarifs sont fixés de manière à pouvoir garantir des conditions de travail attrayantes.
Le fait que vous ayez adopté cette résolution maintenant n’est donc pas un hasard?
D. Höchli: La résolution a une composante stratégique, et donc à long terme: nous voulons ainsi montrer clairement que nous ne lâcherons pas le sujet. La mise en œuvre de la résolution ne se fera pas du jour au lendemain. Il s’agit plutôt d’une tâche permanente à accomplir durant les deux prochaines décennies. Mais effectivement, le moment est bien choisi sur le plan tactique: la loi qui est actuellement sur la table est importante, mais elle ne sera pas suffisante. Il en faudra beaucoup plus.
Et cela ne sera possible qu’avec la collaboration de toutes les parties prenantes?
D. Höchli: La loi fédérale actuelle présente justement des bizarreries à cet égard. Le Conseil fédéral peut décider, par exemple, de faire passer la durée normale de travail de 42 à 40 heures. Dans son message, il indique que les financeurs résiduels doivent assumer les coûts supplémentaires engendrés. Les cantons sont donc chargés d’assurer le financement, mais ne sont liés à aucune obligation. En outre, une autre disposition permet aux associations de salarié·es de porter plainte si un employeur ne respecte pas la loi. Cela signifie, en clair, qu’un organisme définit ce qui s’applique, un deuxième détermine ce qui est financé et un troisième doit porter le chapeau si le financement fait défaut.
Dans le cadre de leur collaboration, les parties prenantes doivent élaborer un plan directeur. C’est très ambitieux. Comment allez-vous vous y prendre, concrètement?
D. Höchli: Il existe quelques exemples de cantons qui ont élaboré de tels plans pour les professions du social ou d’autres métiers. Ce que nous réclamons n’a rien de transcendant. Il s’agit simplement de faire en sorte que les parties prenantes se réunissent à la même table pour examiner qui est responsable de quoi. Ensuite, il conviendra d’accompagner la mise en œuvre et d’évaluer si l’effet souhaité a été obtenu. C’est l’idée qui compte. Et quand je vois les défis qui nous attendent, l’élaboration d’un tel plan semble inévitable.
Comment procédez-vous concrètement pour convier toutes les parties prenantes à la même table?
D. Höchli: Nous avons déjà envoyé des lettres aux principales parties prenantes, notamment à la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider et aux présidences de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales et de celle de la santé. Dans ces courriers, nous exprimons aussi notre volonté d’élaborer ensemble un tel plan.
Il s’agit tout de même d’une entreprise très complexe, non?
D. Höchli: Nous nous demandons effectivement s’il faut élaborer un seul plan directeur pour le domaine social et des soins ou si des plans séparés sont nécessaires. L’élaboration pourrait aussi commencer au niveau cantonal, avec l’intervention de la Confédération dans une phase ultérieure. Nous pourrions aussi nous concentrer dans un premier temps sur un sujet, comme la réduction des charges administratives ou la promotion des innovations sociales, ou commencer par des projets partiels ou pilotes. Nous faisons preuve d’ouverture en ce qui concerne les prochaines étapes. Il est toutefois important que nous passions enfin à l’action, et nous insisterons beaucoup sur ce point.
Les différents points de la résolution concernent surtout des questions de financement.
D. Höchli: Rien n’est possible sans investissements. Si nous voulons assurer la prise en soins, la société n’aura pas d’autre choix que d’allouer davantage de moyens financiers au domaine social et des soins. La résolution ne porte pas que sur les finances, mais l’aspect financier est incontournable. Notre message est le suivant: l’argent ne suffit pas à lui seul, mais sans moyens supplémentaires, nous ne pourrons rien faire.
La question du financement est importante, notamment pour la formation: pouvez-vous donner plus d’informations à ce sujet?
D. Höchli: Une bonne formation nécessite de bonnes conditions cadres. Ici aussi, il faut être prêt à investir. Les formatrices et formateurs pratiques doivent avoir assez de temps pour soutenir les personnes en formation dans le domaine social et des soins. Cela est essentiel pour que celles-ci puissent s’adapter à ces métiers exigeants. Un excellent accompagnement est nécessaire pour que les jeunes restent dans ces professions à long terme.
La résolution place aussi les branches face à leurs responsabilités. Elle réclame une collaboration interprofessionnelle et des solutions innovantes en matière de personnel. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement?
D. Höchli: Notre branche doit être innovante, tant pour l’organisation du travail que pour la collaboration interprofessionnelle. En outre, il convient d’intégrer davantage les pairs, les proches et les bénévoles dans le travail. De nombreux bons exemples existent déjà pour chacun de ces aspects. Même si l’innovation est nécessaire, on constate que les responsables politiques n’ont pas vraiment d’attentes à ce sujet envers la branche. Or nous ne pourrons remplir notre mandat légal d’accompagner et de soigner les personnes ayant besoin de soutien que si nous innovons. Il peut s’agir d’innovations sociales ou de solutions techniques. Des conditions cadres adéquates et un mandat politique clair sont toutefois nécessaires à cet effet.
Le dernier point de la résolution porte sur l’impact des concepts de soins: pourquoi est-ce si important?
D. Höchli: Il y a de nouveaux concepts tout à fait légitimes, comme l’accompagnement renforcé des personnes âgées à domicile ou l’élargissement de la contribution d’assistance de l’AI, pour qu’un plus grand nombre de personnes en situation de handicap puissent vivre en autonomie chez elles. Toutefois, la question se pose de savoir si nous disposons de suffisamment de personnel qualifié pour cela. Nous devons donc nous demander comment concevoir de tels concepts au regard du manque de main-d’œuvre.
Photo: Matthias Luggen