PÉNURIE DE PERSONNEL | D’un chef qui réprimande à un chef qui soutient

03.05.2023 Claudia Weiss

La Fondation Domus, à Martigny, a osé franchir le pas: depuis cinq ans, le personnel pratique un management participatif, dans le cadre duquel les équipes organisent elles-mêmes leurs plans de services et de vacances. Cela n’a pas toujours été facile, mais tout le monde trouve passionnant de s’impliquer davantage dans les nouvelles structures et y voit une grande valeur ajoutée à son travail.

À travers la fenêtre, on aperçoit le Grand Chavalard, immuable, trônant à 3000 mètres. La Fondation Domus à Martigny, elle, est tout sauf rigide et figée: elle héberge 56 personnes, dont la plupart présentent des troubles psychiques, et dispose de 83 places dans son centre de jour avec ateliers thérapeutiques et de 140 appartements pour sa clientèle. La Fondation est très dynamique et s’adapte à l’ère du temps. Le besoin de nouvelles structures existait depuis longtemps, concède Philippe Besse, le directeur. «Mais je n’étais pas encore prêt», confie-t-il en souriant. Cela n’a pas été si simple, en tant que directeur qui a rejoint la Fondation il y a vingt ans et volontiers assumé son rôle de dirigeant, de céder au pied levé des tâches et compétences et de travailler au sein d’une équipe participative. Il réfléchit un instant avant de déclarer en toute honnêteté qu’il n’y serait probablement pas parvenu s’il n’avait pas été contraint de se reposer pendant plusieurs mois suite à un burn-out total qui lui a fait comprendre que cela ne pouvait pas continuer ainsi. 

Participation pur les 130 membres du personnel

C’est donc un nouveau Philippe Besse qui est revenu au travail il y a six ans: il percevait désormais les signes du temps et savait que les jeunes en particulier avaient d’autres attentes. Sans plus hésiter, il a planifié et introduit une nouvelle forme de gestion participative avec l’équipe de direction.

Un essai d’un an au sein d’une équipe de direction coopérative de huit personnes suivie par un coach externe a montré que cela pouvait fonctionner si tout le monde y mettait du sien et tirait à la même corde. Stéphanie Emery Haenni, responsable du personnel et de la formation, a rejoint l’équipe à ce moment-là. Pour elle, Philippe Besse est donc un chef ouvert, qui reconnaît les compétences de chaque poste et encourage à prendre ses responsabilités, à faire preuve d’initiative et à s’impliquer. Ce fonctionnement lui convient très bien: pour elle, le management participatif est même la seule forme pertinente pour une institution qui aide les personnes présentant des troubles psychiques à renouer avec la vie quotidienne: «Nous pratiquons la réhabilitation psychosociale dans notre travail. Les gens que nous accompagnons doivent apprendre à gérer à nouveau leur propre vie, ce que nous ne pouvons leur transmettre de manière crédible que si nous disposons nous-mêmes d’une liberté de choix au sein de l’équipe.»

Ayant survécu à cet essai d’un an, le collège de direction a osé franchir le pas en février 2019. Il a présenté aux équipes cette nouvelle approche et expliqué que la forme de gestion participative allait s’appliquer dans toute l’institution, soit aux quelque 130 collaboratrices et collaborateurs.

«Il ne s’agit pas seulement de travailler de manière participative, mais aussi de façon responsable. Il faut donc s’impliquer beaucoup plus personnellement.»

Les réactions étaient mitigées: certaines personnes se sont montrées réticentes face à ce nouveau modèle, quelques-unes s’y sont complètement opposées tandis que d’autres ont fait preuve d’un grand enthousiasme. «La plupart étaient toutefois intéressées et ouvertes à nos idées», déclare Philippe Besse. Toutes les équipes ont ensuite bénéficié d’un coaching en management participatif. La motivation était au rendez-vous, mais la complexité des questions liées à ce changement a surpris de nombreuses personnes. Il s’est vite avéré que cela ne signifiait pas que tout le monde décide démocratiquement de tout, au contraire: les cadres relatifs aux règles, aux finances ou aux objectifs ont dû être définis de manière bien plus précise qu’auparavant. «Notre grande liberté se situe à l’intérieur de ce cadre», explique Stéphanie Emery Haenni.

Cette transition n’a pas été simple. «Au départ, j’étais naïf et pensais simplement que c’était une belle idée», se remémore Philippe Besse en souriant. Avec son équipe, il a toutefois vite constaté que la formation externe et le coaching suivis par le collège de direction puis par tous les groupes n’étaient que le début. Un changement d’attitude a donc été nécessaire: «Il ne s’agit pas seulement de travailler de manière participative, mais aussi de façon responsable. Il faut donc s’impliquer beaucoup plus personnellement.» Stéphanie Emery Haenni acquiesce et explique: «Si quelque chose ne me convient pas, je dois pouvoir le dire sans détour à Philippe, qui doit à son tour savoir écouter. Les deux parties doivent s’engager.» Cela n’a pas convenu à tout le monde et, au début, le collège de direction était encore instable et partagé. Certaines personnes ne sont pas parvenues à gérer leurs nouvelles responsabilités et ont quitté l’équipe. «Ce n’est pas fait pour tout le monde», déclare Philippe Besse, qui en était conscient dès le départ.

En revanche, d’autre personnes se sont montrées enthousiastes. «Cela demande beaucoup d’engagement personnel. J’ai nettement gagné en autonomie et développé des compétences, ce qui a donné davantage de valeur à mon travail», estime Charlotte Reuse, qui travaille depuis dix ans comme éducatrice sociale à la Fondation Domus. Sébastien Cattiez, infirmier diplômé, a immédiatement adopté cette nouvelle forme de gestion: «La responsabilité supplémentaire que cela implique m’a donné envie de m’engager et de faire les choses à ma manière, même si cela donne parfois lieu à des erreurs», déclare-t-il. En effet, les erreurs sont officiellement autorisées: tout le monde a un «droit à l’erreur» et l’équipe de direction mise sur une bonne culture de l’erreur. Les responsables, y compris le directeur, ont donc trouvé une nouvelle approche: Philippe Besse déclare qu’il est passé «d’un chef qui réprimande à un chef qui soutient».

«Tout le monde doit en apprendre davantage, réfléchir à la manière d’obtenir les bonnes réponses, et de collaborer plus étroitement.»

Lui et son équipe ont fait beaucoup de choses pratiquement à l’aveuglette faute de connaissances préalables, résolu de nombreux problèmes par le biais d’essais et d’erreurs et, ainsi, appris au fur et à mesure. Aujourd’hui, il est heureux de ne pas avoir été conscient de toutes ces difficultés à l’époque: «Autrement, je n’aurais peut-être pas osé franchir le pas.»

Malgré tout, personne ne souhaite revenir à l’ancienne forme de gestion, car le travail n’est pas seulement devenu plus complexe: il est aussi bien plus riche. «Tout le monde doit en apprendre davantage, réfléchir à la manière d’obtenir les bonnes réponses, et de collaborer plus étroitement.» Il s’agit donc d’un tout autre profil professionnel, précise Stéphanie Emery Haenni: «Il faut collaborer de manière interdisciplinaire, se poser mutuellement des questions et s’impliquer beaucoup.» Cela convient aux personnes motivées, dynamiques et talentueuses qui souhaitent s’engager davantage et assumer des responsabilités. Ce profil correspond aux jeunes diplômé·es et étudiant·es de la Team Academy de la Haute école spécialisée HES-SO Valais, qui préparent le contenu de leurs cours avec l’aide de coachs. Ces jeunes ne veulent perdre ni leur indépendance ni leurs responsabilités; le système participatif de la Fondation Domus permet donc d’attirer suffisamment de relève. 

«De plus, on peut enrichir son travail comme on le souhaite en s’impliquant dans une commission spéciale», explique Stéphanie Emery Haenni. Que ce soit dans le groupe Communication, Gestion des stocks ou Santé au travail, les collaboratrices et collaborateurs peuvent faire valoir leurs points forts et donner le ton au lieu de devoir suivre celui de la direction. Au sein des groupes, la clientèle est également représentée: à son plus grand étonnement, celle-ci a aussi le droit de s’exprimer. Cela fait partie de l’approche globale de la Fondation. 

Du personnel motivé, qui reste plus longtemps

Dans un an, le collège de direction devra faire face à un nouveau défi: lorsque le nouveau bâtiment situé à Ardon sera terminé, 18 résident·es y emménageront en plus des personnes logeant dans un bâtiment provisoire à Martigny. L’équipe va donc s’agrandir. «Ce sera difficile, nous devrons former l’ensemble du nouveau personnel, qui devra s’habituer à cette nouvelle manière de travailler», indique Philippe Besse. Les autres équipes ont déjà appris à se concerter afin d’établir les plans de services, d’organiser les remplacements ou de planifier les vacances. Elles gèrent tout cela généralement de manière autonome, ce qui est possible grâce à des directives claires précisant le ou la remplaçante à contacter à quelle fréquence ainsi que la personne qui vient ensuite sur la liste. En cas de désaccord, les responsables offrent leur soutien sous la forme d’un coaching: il ne s’agit pas de proposer des solutions toutes faites, mais d’aider à trouver des réponses. Ce n’est certes pas simple, avoue Stéphanie Emery Haenni. «Mais cela permet à tout le monde de se dépasser et d’acquérir davantage de qualifications.» 

Mais combien un tel changement coûte-t-il? Des frais supplémentaires ont été enregistrés principalement dans le domaine de la formation, répond Philippe Besse. Il est toutefois convaincu qu’ils ont déjà été amortis, car le personnel est plus productif, plus motivé et plus heureux, et reste donc plus longtemps dans l’entreprise. «De plus, la Fondation ne rencontre actuellement aucun problème à recruter du personnel, et les étudiant·es sont motivé·es», ajoute Stéphanie Emery Haenni. «Nous avons atteint le premier camp de base de l’Everest», conclut Philippe Besse. Stéphanie Emery Haenni acquiesce, même si elle estime qu’ils se trouvent à un stade plus avancé: «Nous en sommes à la première récolte.» 

 

www.fondation-domus.ch


Sur la photo (depuis la gauche):  Charlotte Reuse (travailleuse sociale), Pflegefachmann Sébastien Cattiez (infirmier), Stéphanie Emery Haenni (responsable du personnel) und Direktor Philippe Besse (directeur).

Photo: cw