ECOLE INTEGRATIVE | Comment le canton du Tessin aborde l’inclusion

Au Tessin, les classes inclusives existent depuis les années 1970. Entretemps, un vaste éventail d’offres et de prestations s’est développé afin de répondre aux besoins des élèves. La clé de la réussite? Une étroite collaboration entre les structures de l’école ordinaire et de l’école spécialisée ainsi qu’une conception appropriée de l’environnement d’apprentissage. Autre élément important: le cadre séparatif a lui aussi sa place.
Dans sa vision d’un système scolaire tessinois inclusif et accessible, le service de l’enseignement cantonal a délibérément renoncé à faire la distinction entre «école ordinaire» et «école spécialisée». Dans son document publié il y a deux ans, il parle tout simplement de «système scolaire» ou d’«école». «Cette décision terminologique entend poser les jalons d’un changement de paradigme, s’éloignant de la dichotomie entre école ordinaire et école spécialisée pour offrir un parcours scolaire uniforme à l’ensemble des élèves», peut-on lire.
L’approche axée sur les prestations est ainsi mise en avant, déclare Mattia Mengoni, directeur de la division Pédagogie spécialisée au sein du service cantonal de l’enseignement. Il a élaboré le document en collaboration avec des spécialistes des autres divisions de l’école obligatoire. «Le système scolaire tessinois tient compte des besoins des élèves», déclare-t-il, soulignant l’approche axée sur les prestations. Et cela ne date pas d’hier: le canton du Tessin promeut des parcours scolaires inclusifs et intégratifs depuis de nombreuses années. Le défi du système scolaire tessinois – et de celui d’autres cantons – consiste à approfondir l’expérience acquise dans les domaines du soutien aux élèves et de la pédagogie spécialisée, l’objectif étant un système scolaire inclusif, explique Mattia Mengoni.
Plus de 50 ans d’expérience
L’expérience du Tessin remonte à plus loin que celle de bien d’autres cantons. Dès les années 1970, l’accompagnement scolaire spécialisé a été organisé de manière similaire à aujourd’hui. Outre l’école spécialisée à proprement parler, des élèves ayant besoin de soutien ont été intégré·es, sous certaines conditions, à l’école ordinaire, et y ont bénéficié d’un accompagnement. Ces mesures s’expliquent notamment par la proximité avec l’Italie, qui dispose depuis des décennies d’un système scolaire intégratif. De plus, la géographie du canton, caractérisée par des vallées, a donné lieu à des classes à degrés multiples, et donc à des besoins différents au sein d’une même école ou d’une même classe.
Le Tessin a dès lors développé un vaste éventail d’offres et de prestations, qui vont de mesures très faciles d’accès à des offres de soutien à moyen et haut seuil, celles-ci étant, dans la mesure du possible, mises en place de manière intégrative. Mattia Mengoni utilise à cet effet l’image d’une pyramide: le socle représente le service pédagogique intégré à l’école ordinaire. Des équipes composées de différent·es professionnel·les de l’éducation spécialisée, allant des psychologues aux spécialistes en psychomotricité en passant par les logopédistes, travaillent dans une école ou sur plusieurs sites. «Ces professionnels accompagnent un enfant individuellement pendant une demi-heure ou une heure par semaine», indique Mattia Mengoni. Si cela ne suffit pas, les élèves concerné·es reçoivent le soutien d’un·e enseignant·e spécialisé·e pendant quatre ou cinq heures par semaine – toujours au sein de la classe ordinaire. Les écoles soumettent à cet effet une demande auprès de la division Pédagogie spécialisée du service cantonal de l’enseignement.
Les classes inclusives en constante hausse
Pour répondre aux besoins éducatifs supplémentaires, trois formes de soutien scolaire spécialisé ont été établies. Deux d’entre elles se déroulent en étroite collaboration entre l’école ordinaire et l’école spécialisée: dans les classes inclusives, qui ont été instaurées en 2011 et dont le nombre n’a cessé de croître, un·e enseignant·e de l’école ordinaire et un·e enseignant·e spécialisé·e travaillent ensemble. Les enseignant·es spécialisé·es accompagnent les trois à quatre enfants ou jeunes ayant des besoins particuliers, qui sont intégré·es dans les classes ordinaires. Durant l’année scolaire qui vient de s’achever, le Tessin comptait 84 classes inclusives (37 d’école enfantine, 34 de degré primaire et 13 de degré secondaire I). Au cours de l’année scolaire 2020/2021, il n’y en avait encore que 22.
Dans ces classes inclusives, les élèves ayant des troubles du spectre de l’autisme ou divers troubles cognitifs suivent les cours avec les enfants de l’école ordinaire. Les enfants et les jeunes qui nécessitent un enseignement plus personnalisé sont accompagné·es, au sein de l’école ordinaire, dans des classes spécialisées ou à effectif réduit qui comptent six à sept élèves et deux enseignant·es spécialisé·es. Pendant l’année scolaire 2024/2025, le canton dénombrait 73 classes spécialisées, soit un peu plus qu’en 2020/2021.
Très peu d’élèves dans un cadre strictement séparatif
Selon Mattia Mengoni, un aspect important est la perméabilité entre les différents types de mesures de soutien: «En fonction des besoins, les élèves peuvent passer d’une classe inclusive à une classe spécialisée et inversement.» L’un des défis rencontrés dans les classes spécialisées, indique-t-il, est de devoir planifier délibérément les échanges avec les enfants des classes ordinaires, alors que cela se fait tout seul dans les classes inclusives. Pour les enfants et les jeunes qui présentent des troubles du comportement et ne peuvent pas rester dans une classe ordinaire, il existe six classes spécialement adaptées à leurs besoins réparties dans tout le canton. «Ils y sont accompagnés pendant un ou deux ans au maximum puis retournent dans leur classe», explique Mattia Mengoni.
Quant à la troisième forme de soutien scolaire spécialisé, soit le sommet de la pyramide, il s’agit des quatre institutions scolaires spécialisées du canton. «Ce cadre strictement séparatif accueille uniquement les enfants et les jeunes ayant des besoins de protection très élevés ainsi que les élèves en situation de polyhandicap ou présentant de graves problèmes, notamment physiques», indique le directeur. Au Tessin, 0.3% des jeunes sont accompagné·es au sein d’une institution séparative. La moyenne suisse s’élève à près de 2%. Les classes spécialisées et à effectif réduit du canton accueillent 1.3% des élèves de l’école enfantine et primaire, et un peu plus au degré secondaire I. Ces taux se rapprochent de la moyenne suisse.
Grande acceptation politique
«Dans la mesure du possible, les enfants et les jeunes doivent pouvoir rester dans les classes ordinaires», souligne Mattia Mengoni, résumant le credo tessinois. De vraies solutions doivent toutefois exister pour les élèves qui ne peuvent pas rester dans ces classes. «Penser que tous les élèves peuvent suivre les cours dans une seule et même classe, c’est mal comprendre ce qu’est l’inclusion», affirme-t-il. En effet, une telle conception ne permet pas de répondre aux besoins des élèves.
Afin de pouvoir réagir à ces besoins de la manière la plus flexible et la plus rapide possible, un bon contact permanent entre les structures de l’école ordinaire et de l’école spécialisée est impératif, indique le directeur. Cela concerne tant la collaboration sur place que l’organisation au niveau cantonal. Les différentes divisions scolaires sont donc toutes réunies dans le service cantonal de l’enseignement, au sein du Département de l’éducation, de la culture et des sports.
Outre des mesures de soutien flexibles et axées spécifiquement sur les besoins, Mattia Mengoni estime qu’une organisation adéquate des cours et de l’environnement d’apprentissage, qui tienne compte des différences d’apprentissage de chaque élève, est nécessaire. Celle-ci exige à son tour une formation initiale et continue correspondante du corps enseignant à des méthodes d’apprentissage différenciées et personnalisées.
Le canton du Tessin a déjà pris des mesures dans ces champs d’action. Cela se reflète également dans la forte acceptation politique du système, liée à la prise de conscience que les ressources nécessaires à cet effet sont indispensables. Ainsi, l’année dernière, une pétition signée par 9000 personnes a empêché le canton de réduire les ressources allouées à l’enseignement spécialisé dans le cadre d’un train de mesures d’économie générales.
Étapes menant à une école inclusive
Depuis quelques années, les travaux se concentrent tout particulièrement sur la conception de l’environnement d’apprentissage, indique Mattia Mengoni. «Nous visons un changement de paradigme», souligne-t-il. «Il ne s’agit pas de simplement mettre en œuvre des mesures pour certains élèves, mais de créer un contexte permettant à chacune et chacun de participer pleinement et de progresser autant que possible dans son apprentissage.» Un système scolaire inclusif ne se résume pas à prendre des mesures spécifiques dans un contexte ordinaire: l’environnement d’apprentissage doit être conçu de manière à «prendre en compte les besoins particuliers dès le départ».
Cela est d’autant plus important que les classes deviennent de plus en plus hétérogènes en raison de l’évolution de la société, ce qui sollicite fortement le corps enseignant. Mattia Mengoni mentionne par exemple les situations familiales précaires ou encore les conséquences d’une forte consommation d’Internet et de l’utilisation des réseaux sociaux.
Les travaux concernant l’environnement d’apprentissage et la formation initiale et continue du corps enseignant sont donc aussi des aspects essentiels de la vision adoptée en juin 2023 d’un système scolaire tessinois inclusif et accessible; des aspects qui sont intégrés dans les réflexions théoriques autour de l’inclusion. Le canton du Tessin interprète l’inclusion au sens large, comme l’explique le directeur: «C’est un processus de développement continu ayant pour but de valoriser la diversité et de permettre à chaque élève d’apprendre et de participer.» Contrairement à l’inclusion au sens strict, où tout le monde suit les cours dans une seule classe, le modèle tessinois autorise des structures séparatives.
Un autre aspect central de la vision est l’amélioration de la collaboration entre les services chargés d’évaluer les besoins, l’objectif étant d’intégrer de mieux en mieux les structures de l’école ordinaire et de l’école spécialisée dans un système inclusif et de supprimer les obstacles administratifs. Un autre grand axe de la vision est de garantir une plus grande autonomie aux écoles afin que celles-ci puissent concevoir les mesures nécessaires, adaptées aux besoins dans leur établissement, de manière flexible.
Photo: Marco Zanoni