LGBTIQ+ | Pour respecter la diversité, il faut la connaître

21.12.2025 Anne-Marie Nicole

Depuis le début de l’année, la Fédération genevoise des structures d’accompagnement pour seniors (Fegems) propose une formation inédite sur le savoir-être et les postures professionnelles, avec un point fort sur l’accompagnement inclusif des personnes âgées. Finalité: permettre aux seniors LGBTIQ+ de «sortir du placard» et leur offrir l’espace d’exister.

C’est le début du printemps. L’air est encore frais et un soleil timide perce à travers les nuages. Ce matin-là, Fatima Da Cruz et Alicia Torices ont rendez-vous devant les locaux de la Fegems, l’une des associations de branche du canton de Genève, laquelle regroupe une cinquantaine de structures d’accompagnement pour seniors, EMS et foyers de jour. Les deux femmes sont aides-soignantes à l’EMS Les Pervenches. Avec une quinzaine de collègues travaillant dans divers secteurs d’activité d’autres structures, elles participent à la première session d’un nouveau dispositif de formation de deux jours proposé par la Fegems: «Les clés du savoir-être en EMS».

«Le savoir-être»? Le titre de la formation intrigue les deux professionnelles. L’invitation à embarquer dans un bus privatisé des transports publics genevois plus encore! Trois seniors-partenaires ainsi que l’équipe de formation font partie du voyage. Durant toute la matinée de cette première journée de formation, le bus sillonne la ville de Genève et quelques communes limitrophes, faisant plusieurs haltes. À chaque halte, à tour de rôle, les seniors-partenaires livrent aux participantes et participants, en quelques minutes, des fragments de leur vie en lien avec le lieu environnant.

Des seniors dévoilent un peu de leur diversité

Au fil du voyage, entre les lignes de leurs récits, les seniors-partenaires dévoilent peu à peu leur diversité, des pans plus intimes de leur histoire, leur parcours migratoire, leur appartenance religieuse ou leur orientation sexuelle. Ainsi Patrice, la septantaine, une carrière dans l’industrie. Il a choisi l’arrêt Place de Neuve, entre le Parc des Bastions et le Grand Théâtre, pour raconter ses rendez-vous passés avec des hommes rencontrés dans le parc, puis son histoire d’amour avec un danseur du ballet du Grand Théâtre. «Un jour, je serai peut-être moi aussi résident d’un EMS», explique Patrice. «En participant à ce cours, j’aimerais contribuer à une prise de conscience, pour davantage d’inclusion et d’ouverture d’esprit.»

Les deux aides-soignantes sont transportées par ces récits. Surtout, elles se rendent compte qu’elles en ont appris davantage en quelques heures sur la vie de ces seniors-partenaires que sur les résidentes et résidents dont elles s’occupent au quotidien. «Notre problème au travail, c’est le temps. On n’a pas le temps, donc on ne les écoute pas. Pourtant, chacune de ces personnes a une histoire et nous passons à côté», regrette Alicia Torices.

Interroger les valeurs et les croyances

En titrant sur le savoir-être, la formation invite à réfléchir aux postures professionnelles dans le domaine de l’accompagnement des personnes âgées vulnérables, notamment autour des thèmes de la citoyenneté et de l’inclusion de la diversité. «Il est plus facile de donner une formation sur le savoir-faire que sur le savoir-être», observe Katia Peccoud, responsable du Pôle formation de la Fegems, qui a initié ce nouveau dispositif. «Car travailler sa posture professionnelle implique de s’interroger ses propres valeurs et croyances personnelles.»

La première journée de la formation est largement dédiée au thème de l’inclusion de la diversité, en l’occurrence de l’inclusion des seniors LGBTIQ+. Si le dispositif recourt aux récits de vie, c’est pour entrer en douceur dans le processus de prise de conscience. Avant de monter dans le bus, chaque participante et participant a reçu un «carnet de voyage» personnel, dans lequel elle et il peut noter à sa guise ses réflexions, interrogations et ressentis à l’écoute des récits des seniors-partenaires. Le carnet propose une quarantaine d’affirmations en lien avec la diversité affective et sexuelle et l’identité de genre, auxquelles répondre par vrai ou faux, l’idée étant de questionner ses propres croyances, idées reçues et attitudes. Par exemple: «Je me sens à l’aise avec les personnes LGBT, pour autant qu’elles restent discrètes», «Ça me dérangerait d’apprendre que mon médecin est lesbienne ou gay», «Je serais surprise de rencontrer une lesbienne musulmane portant le voile», «Je ne m’attends pas à ce qu’un homme en chaise roulante soit gay», etc. Libre à chacune et chacun d’y répondre ou pas. Comme le rappelle Katia Peccoud, «c’est une démarche très personnelle».

Une génération qui continue de se cacher

Alicia Torices confie que la formation a provoqué un déclic chez elle: «Tous les jours, j’aide des hommes et des femmes, sans même penser que ces personnes pourraient avoir une sexualité différente de la mienne.» Comme elle, nombre de professionnel·les travaillent dans des structures d’accompagnement seraient bien en peine de dire s’il y a des seniors LGBTIQ+ parmi leurs bénéficiaires. «Ce manque de visibilité ne veut pas dire qu’il n’y en a pas, simplement ces personnes ne se manifestent pas», insiste Marjorie Horta, chargée du Projet seniors LGBTIQ+ de l’association genevoise 360, qui intervient durant la première journée de formation. Elle rappelle que les seniors LGBT appartiennent à une génération qui s’est beaucoup cachée, qui a connu la pénalisation, la clandestinité et la stigmatisation. «Comment un couple gay trouve-t-il sa place en EMS? Comment une personne lesbienne peut-elle se raconter autour d’une table ou dans un groupe de parole? Une personne trans pourra-t-elle être genrée comme elle le souhaite?», interroge Marjorie Horta. Parler de sa vie c’est se dévoiler, avec la peur du jugement et du rejet, que ce soit de la part du personnel ou des autres résidentes et résidents. Ainsi, la plupart des seniors LGBTIQ+ en EMS ne diront rien. «Et ne rien dire, c’est retourner au placard.»

Dès lors, Marjorie Horta forme les professionnel·les à un accompagnement inclusif des personnes âgées, dans le but de briser cette invisibilité des seniors LGBTIQ+ et leur offrir l’espace d’exister. Cette invisibilité engendre du stress, appelé stress minoritaire du fait d’appartenir à une minorité stigmatisée, lié à la dissimulation de soi, à l’homophobie ou la transphobie intériorisée, aux comings out. Cette invisibilité est d’autant plus néfaste qu’elle a des effets sur la santé: isolement, dépression, addictions, maladies chroniques Langage inclusif et communication ouverte

Marjorie Horta travaille sur la terminologie et la distinction entre sexe, genre et sexualité, sur la compréhension des réalités et besoins des seniors LGBT. Elle attire l’attention sur l’impact que peuvent avoir des attitudes ou des actes sur la personne supposée à tort hétérosexuelle ou cisgenre, en illustrant le propos avec des situations courantes et bien réelles pour renforcer la prise de conscience. Elle invite à adopter une communication ouverte et des pratiques d’accueil inclusives pour que la personne se sente à l’aise d’être et de se présenter comme elle est, de s’entourer d’objets ou de photos qui dévoilent son orientation sexuelle si elle le souhaite.

«Cette ouverture à l’autre passe notamment par le vocabulaire, qu’il faut élargir et rendre plus inclusif, avec des termes neutres», explique la chargée de projet. Et cela commence par la formulation des questions dans les différents formulaires administratifs des institutions.

Pour accompagner ce travail en profondeur et favoriser l’inclusion de la diversité, la deuxième journée du dispositif développe des outils concrets autour de l’empathie, des valeurs personnelles ou institutionnelles, d’une attitude proactive et de la communication. «C’est un outillage de soi pour apprendre à donner une place à l’autre, à lui laisser le choix et lui permettre d’être qui il ou elle est. Il n’y a pas de cours existant sur ces questions», remarque Katia Peccoud.

Le personnel soignant n’est pas assez sensibilisé

Ce que confirme Marjorie Horta, citant une récente étude réalisée dans divers pays francophones et qui relève le manque de formation sur ces questions des professionnel·les de l’aide et du soin. Elle voit deux obstacles à la mise en place de formations spécifiques. Le premier, déjà évoqué, tient à l’invisibilité des seniors LBGTIQ+: comme ces personnes se cachent, l’institution en conclut qu’il n’y en a pas chez elle et qu’une formation n’est donc pas nécessaire. Le deuxième frein se résume en une phrase souvent entendue et qui permet de faire l’économie d’une remise en question: «Chez nous, on respecte et on accepte tout le monde de la même façon.» La chargée de projet ne doute pas de la bonne volonté des équipes professionnelles. «Mais cela ne suffit pas. Pour respecter la diversité, il faut la connaître.» Elle va donc continuer de parler de ces personnes, ignorées et méconnues, pour les faire exister et nourrir la réflexion sur leur inclusion. Quant à la Fegems, après les quatre sessions de formation en 2025, elle continuera d’inscrire ce dispositif dans son catalogue de formation, avec quelques ajustements et un nouveau titre: «Renforcer son savoir-être au quotidien».

 



Photo: Ariane Testori