PARTAGER L'EXPÉRIENCE | Bâtisseurs de ponts et porteurs d’espoir

14.12.2022 Claudia Weiss

Au sein de l’institution Schlossgarten Riggisberg, près de Berne, le travail des pairs a pris une telle importance que l’institution a engagé en 2019 deux pairs ayant vécu une expérience en psychiatrie. Leur travail fait l’unanimité, car ils accompagnent les résidentes et résidents sur le chemin du rétablissement, vers l’auto-efficacité et une vie épanouie.

Les dernières feuilles d’automne ont des teintes jaune-orangé. Au loin, le château qui a donné son nom à l’institution Schlossgarten Riggisberg, près de Berne. Pedro Codes et l’une des résidentes se promènent lentement sur le chemin de gravier, en pleine conversation. L’atmosphère est détendue. Mais ce genre de promenade est bien plus important qu’il n’y paraît: Pedro Codes est l’un des deux pairs membres du personnel. Il a vécu une expérience en psychiatrie et son travail est un élément important de l’offre proposée par l’institution. 

«Mon histoire fait que les gens me croient davantage.»

Tous les mercredis, il mène entre trois à cinq entretiens de consultation au sein de Schlossgarten Riggisberg. Cet ancien journaliste spécialisé dans la musique a suivi avec succès une formation complémentaire en conseil psychosocial et a de très bonnes relations avec les résident·es. «La particularité de ce que je peux offrir consiste en ma propre histoire et ma compréhension personnelle», résume-t-il. Une dépression récurrente, un trouble anxieux, l’expérience de la migration et une mère atteinte de schizophrénie paranoïde: il a une expérience plurielle, et cela compte. Ce qui crée le lien, ce n’est pas la similarité des diagnostics, mais la similarité des expériences: «Mon histoire personnelle fait que les gens, tout simplement, me croient davantage.»

Il préfère mener ses entretiens en se promenant avec les résident·es. «Ça permet aussi au cerveau de mieux fonctionner», plaisante-t-il. Il commence par laisser parler son interlocuteur·trice, en essayant de discerner les besoins que cela lui révèle. Il cherche des points communs, établit une relation et parle de sa propre expérience, tout en faisant aussi bien attention à ne pas donner trop de conseils: «Lorsque je révèle trop de choses de moi, je prive mon interlocuteur de la chance d’apprendre par lui-même.»

En même temps, le fait de poser des limites lui est également bénéfique à titre personnel. Au début, les expériences douloureuses vécues par les personnes en face de lui l’affectaient fortement. «C’est un processus: je fais désormais la part des choses et sais que je peux aussi apporter de l’aide rien que par ma présence.» Si cela devient trop lourd à porter, un coaching externe lui apporte le soutien nécessaire.

Des pairs dans l’équipe 

Ursula von Bergen, qui codirige le domaine Habitat et travail, veille au bien-être de «ses» pairs membres du personnel: «Il est très important pour moi de savoir comment ils vont, parce qu’ils sont importants au sein de notre équipe. Ils sont indispensables.»

Elle en a été convaincue après avoir invité à deux occasions, des pairs externes à participer à des évènements organisés autour du thème du recovery, un modèle qui soutient l’auto-efficacité et le potentiel de guérison. Des personnes ayant vécu une expérience en psychiatrie qui accompagnent d’autres personnes concernées: pour elle, cela faisait tellement sens qu’il fallait absolument engager des pairs de façon permanente. «Pour les résident·es, les pairs sont des bâtisseurs de ponts et des porteurs d’espoir.» L’idée a rapidement germé d’engager un homme et une femme. Ursula von Bergen a fait paraître une annonce et invité les candidat·es à des entretiens d’embauche officiels, pour en sélectionner deux.

«Il faudrait qu’il y ait des pairs partout.»

Lorsque le centre de consultation de Schlossgarten a ouvert ses portes en 2019, l’une des offres proposées s’intitulait «Pairs. Conseils sur un pied d’égalité». Y figuraient les noms et les adresses e-mail de Pedro Codes et de Daniela Wegmüller. «Les résident·es se racontent parce qu’ils savent que la personne en face peut comprendre de quoi ils parlent quand leur monde est chamboulé par des séismes psychiques», affirme Daniela Wegmüller, la seconde des deux pairs membres du personnel.

Elle a encore en mémoire ce jour où elle a invité un résident taciturne et replié sur lui-même à se joindre à une partie de jeu. «La première partie a été suivie d’une deuxième, puis une troisième, une quatrième... C’était tellement beau de voir son sourire, ses yeux s’éclairer pendant qu’il jouait, et à quel point il est resté motivé pendant toutes ces heures!» Elle apprécie également la collaboration au sein de l’équipe, où règne une atmosphère amicale et sereine. «De plus, je reçois souvent des retours positifs, tant de la part du personnel que des résident·es, sur la valeur que revêt à leurs yeux le travail des pairs.»

Porte-parole des résident·es

Pedro Codes remarque également régulièrement à quel point les résident·es répondent positivement à ce qu’il propose: «Ces personnes me font confiance, parce que moi aussi je reconnais que je ne vais pas toujours très bien, et que je montre comment je gère ces moments.» Même lorsque la personne en face de lui ne partage pas les mêmes antécédents médicaux que lui, ils ont toujours au moins une chose en commun: «Nous avons l’expérience de la souffrance, des séjours en clinique, des médicaments et des diagnostics», souligne-t-il. 

Pour Ursula von Bergen, le fait que les pairs fassent pleinement partie de l’équipe de conseil est aujourd’hui une évidence: «Cela montre à quel point nous attachons de l’importance à l’auto-efficacité de nos résident·es, conformément aux dispositions de la CDPH.» Elle coordonne le travail des pairs pour que cette offre soit disponible pour l’ensemble de l’établissement. Au quotidien cependant, Pedro Codes doit veiller à sa mission: «Même si je suis un employé de l’institution, je dois garder une attitude critique: je suis le porte-parole des résident·es!» Ursula von Bergen acquiesce. Elle souligne à quel point c’est effectivement important. C’est exactement cette attitude qui lui a permis de développer une bien meilleure compréhension des résident·es. 

«Il faut toutefois beaucoup plus de places de formation et de travail pour les pairs.»

Dès lors, il est important que les pairs suivent des formations continues, échangent avec d’autres groupes de recovery, par exemple, ou des colloques: «L’offre doit se développer, et les pairs évoluer avec elle.» À Schlossgarten, la direction est consciente qu’accueillir sous un seul et même toit de nombreuses personnes en situation de handicap psychique n’est pas idéal, et qu’une évolution en profondeur est nécessaire: changements institutionnels, nouvelles formes d’habitat, attitude facilitatrice, accompagnement des processus plutôt qu’assistance. Mais encore: «Il faudrait qu’il y ait des pairs partout, parce qu’il faut des personnes qui mettent leur expérience à disposition et montrent que l’on peut avoir une vie heureuse avec, ou en dépit de certains diagnostics.»

De son côté, Pedro Codes apprécie d’être soutenu et encouragé. «Il faut toutefois beaucoup plus de places de formation et de travail pour les pairs, car nous contribuons à ce que l’on regarde l’individu dans sa globalité.»

Dans le parc du château, Pedro Codes et la résidente se sont assis sur l’un des bancs du parc pour terminer leur conversation, tous deux très détendus. Comme l’expliquera plus tard Pedro Codes, un environnement apaisant aide beaucoup. Les gens le contactent spontanément, parce qu’on leur a parlé de cette offre. Les thématiques abordées, précise-t-il, sont alors totalement ouvertes: «L’un souhaite aller mieux, une autre s’inquiète parce que deux de ses proches sont hospitalisés, et un troisième a enfin trouvé une thérapeute qui parle sa langue.» 

Les pairs comme modèles

Quand une personne est parvenue à réaliser quelque chose d’important, Pedro Codes aime fêter ce succès avec elle. Pour lui, le meilleur retour d’expérience est quand quelqu’un se réinscrit pour un entretien la semaine suivante. Souvent, le conseil de pairs prend fin lorsqu’une personne quitte l’institution. Ce sera notamment bientôt le cas d’un résident qui, depuis le tout premier jour de travail de Pedro Codes, a cherché son soutien. «De nombreux·ses résident·es prennent nos pairs comme modèles et veulent également exercer cette fonction», explique Ursula von Bergen. 

Les pairs ont carte blanche pour mettre en place de nouvelles idées, comme une soirée cinéma mensuelle: jusqu’à vingt personnes regardent ensemble des films en lien avec la notion de recovery. Après la séance, beaucoup restent pour participer à la discussion. «Ce type de soirées procure un sentiment de normalité, d’auto-efficacité et d’autodétermination», résume Pedro Codes. L’équipe n’est pas encore arrivée là où elle le souhaite, mais le travail de pairs est un vrai pas en avant.

Dehors, l’air s’est rafraîchi. La promenade de consultation de Pedro Codes s’achève. Pedro Codes prend congé de la résidente puis va s’asseoir un instant à une table avec Ursula von Bergen pour clarifier quelques points en suspens. Sa journée de travail terminée, Il peut prendre du temps pour lui. Le fitness, la santé et le développement personnel lui tiennent à cœur et lui permettent de récupérer après ses entretiens. Aujourd’hui, à 44 ans, et après une grosse crise il y a cinq ans, il écoute encore plus ses désirs et ses rêves. Prendre soin de lui et être attentif à ses besoins ne l’aide pas seulement lui, mais aussi les résident·es de Schlossgarten Riggisberg. Beaucoup se réjouissent déjà de leur rendez-vous de pair hebdomadaire, pour s’inspirer de Pedro Coves et de son parcours. 
 

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Photo: Marco Zanoni