PARTAGER L'EXPÉRIENCE | «Nous avons besoin de jeunes vieux!»

14.12.2022 Anne-Marie Nicole

L’échange entre personnes confrontées au même type de problèmes
a des effets positifs sur le plan personnel comme sur le plan social. Lukas Zemp, directeur de la Fondation Info-Entraide Suisse, s’engage pour un ancrage de l’entraide dans la loi et s’efforce de nouer des partenariats avec des organisations des domaines du social et de la santé.

Comme tous les jeudis matin, dans la salle de paroisse de Mont-sur-Lausanne, le Café Solidaire rassemble une vingtaine de personnes, parfois davantage. Ce jeudi, elles sont plus d’une trentaine à se presser à la porte, dès neuf heures trente, accueillies par Gérard Tissot et Edgard Raeber qui assurent ce jour-là le service du café. L’ambiance est chaleureuse, on se salue, on interpelle de loin celles et ceux qui ont déjà pris place dans la salle, on prend des nouvelles des uns, on s’enquiert de la santé des autres.

Le Café Solidaire est certainement une activité clé de l’association Mont Solidaire.

Une grande table est accolée au bar, près de l’entrée. Divers documents y sont déposés, rappelant les activités à venir. Les personnes intéressées sont invitées à s’inscrire, ici pour une excursion, là pour une conférence, ailleurs encore pour le repas solidaire. Il y a également une liste sur laquelle les volontaires peuvent communiquer leurs disponibilités pour véhiculer le doyen nonagénaire du groupe, qui peine à se déplacer seul. Il y a aussi parfois une carte à signer pour souhaiter un prompt rétablissement à une personne malade. Enfin, ce moment où tout le monde est réuni est l’occasion d’informer sur les projets à venir.

«C’est magique, ici!»

Le Café Solidaire est certainement une activité clé de l’association Mont Solidaire. Il a pour ambition l’entraide, l’écoute et l’échange. C’est un lieu de rencontres, où des liens d’amitié se nouent entre les seniors de la commune. Pour les nouvelles et nouveaux venus, c’est la première porte à pousser pour faire connaissance et trouver de la compagnie. «À notre âge, la solitude guette parfois!», avertit Gisela Raeber, alerte octogénaire et membre du groupe de gestion de l’association. «Qu’on soit seul, en couple, en EMS ou en habitat protégé, c’est magique ici!», affirme-t-elle, enthousiaste, elle qui s’émerveille de découvrir la richesse des parcours et des histoires de vie des gens qu’elle rencontre au Café Solidaire et qu’elle croise désormais dans la rue ou dans les commerces.

Gisela et Edgard Raeber vivent depuis quarante ans au Mont-sur-Lausanne. Pour autant, jusqu’il y a cinq ans, ils ne connaissaient pas grand monde dans la commune, hormis leurs voisins immédiats. Il faut dire que le territoire du Mont-sur-Lausanne s’étale sur quelque 980 hectares et compte près de 10 000 habitants.

Plus proche du statut de ville que de village, le Mont a connu une croissance démographique rapide, avec le risque de délitement des liens sociaux au sein de la population. Lucien Paillard, co-président du groupe de gestion, qui soufflera bientôt ses 80 bougies, est la cheville ouvrière du projet qui a conduit à la création de l’association Mont Solidaire. En 2016, le syndic du Mont s’était inquiété du peu d’intérêt témoigné par les seniors pour leur bien-être. Il s’en était ouvert à Lucien Paillard qui avait mis en évidence les avantages de la démarche communautaire initiée par Pro Senectute Vaud dès le début des années 2000: les «Quartiers & Villages Solidaires».

«Cette démarche vise l’auto-organisation: nos aînés sont les plus à même de définir leurs besoins.»

C’est ainsi qu’un projet de type «Quartier Solidaire» a officiellement démarré au Mont-sur-Lausanne en juin 2017, mené par et pour les seniors de la commune, sous l’égide du dicastère municipal de l’éducation, de la culture et de l’environnement, et sous la conduite de l’unité de Travail social communautaire de Pro Senectute Vaud. «Ce projet, qui s’adresse aux seniors, postule que ces derniers sont les experts de leur environnement proche, de leur quartier, des rues qu’ils fréquentent quotidiennement», écrivait le conseiller municipal Philippe Somsky, à l’automne 2017, assurant en même temps le soutien de la municipalité.

Et de poursuivre: «Cette démarche leur offre l’opportunité de donner leur avis, d’émettre des recommandations pour les autorités afin d’améliorer leur cadre de vie (…) Mais cette démarche vise également l’auto-organisation, car ce sont nos aînés qui sont les plus à même de définir leurs besoins (…)»

Le processus participatif a officiellement pris fin au printemps dernier, avec l’autonomisation du projet et la constitution de l’association Mont Solidaire pour prendre le relais. Si un groupe de gestion a été mis en place pour assurer l’administration de l’association, la structure reste horizontale et participative, et repose principalement sur le groupe Habitants, ouvert à l’ensemble des seniors, et chargé de développer et décider des projets et des activités.

Les liens avec les acteurs du terrain sont assurés par le groupe Ressources, lequel réunit la commune du Mont, la paroisse protestante, le centre médico-social, l’EMS La Paix du Soir, diverses associations et fondations ainsi que l’unité d’action sociale régionale de Pro Senectute Vaud.

Dès 2023, la commune versera une subvention annuelle avec, en sus, possibilité d’apporter un soutien complémentaire pour des projets précis.

La «banque du temps», un réseau d’entraide

Pour marquer la naissance de Mont Solidaire, une «Fête de l’envol» a été organisée le 18 juin, avec, notamment, la ­présentation par les seniors d’un sketch intitulé «La baguette magique». Cette production théâtrale dit tout de cette aventure. Elle nous apprend qu’Adriana propose une marche chaque premier lundi du mois, que Daniel est responsable du cyber-café, que Françoise est en charge des activités culturelles et que Johanna gère la «Tribu des bons vivants». On découvre aussi qu’un groupe soucieux de biodiversité a aménagé Jardimont, un potager en permaculture avec des nichoirs, un hôtel à insectes, deux mares ou encore une prairie fleurie. S’ajoutent les mercredis de jass, les vendredis de pétanque, les rencontres intergénérationnelles, le club de lecture, l’atelier de tricot et crochet, la grainothèque et des cours de gymnastique douce.

«Un sourire et un merci suffisent.»

Sans oublier la «banque du temps». Comme l’explique Lucien Paillard, il s’agit d’un réseau d’entraide non rémunéré – «un sourire et un merci suffisent», peut-on lire sur le formulaire d’offres. Chacune et chacun peut y inscrire ses savoirs et ses talents, ou ses demandes d’aide: petites réparations, montage de meubles, transport de personnes, conseils juridiques ou immobiliers, taille des arbres, support informatique, cours de langue, etc.

La banque du temps compte une petite vingtaine de personnes qui mettent ainsi leurs compétences à disposition des autres. Les ressources du groupe sont riches. Mais encore sous-utilisées. «Nombre de personnes n’aiment pas demander de l’aide», observe Gisela Raeber.

La question de la relève se pose

Mont Solidaire réunit des personnes d’horizons culturel, professionnel et social très divers. «On arrive toujours à s’entendre, et on rit beaucoup même!», assure Gisela Raeber. «On doit laisser nos préjugés de côté et apprendre à être plus tolérant et respectueux», ajoute Lucien Paillard.

«Un dynamisme étonnant nous relie, cela fourmille d’idées et d’initiatives, mais ce dynamisme est fragile»,

Sur les quelque 170 personnes qui ont rejoint Mont Solidaire, une quarantaine s’implique activement. Au-delà de la fierté et du plaisir de faire partie de ce mouvement citoyen, on sent aussi une certaine inquiétude: bien que toujours très actifs malgré l’âge qui avance, ces membres verraient d’un bon œil l’arrivée de seniors plus jeunes pour prendre la relève. «Un dynamisme étonnant nous relie, cela fourmille d’idées et d’initiatives, mais ce dynamisme est fragile», confie Nano de Vries, qui a été le chauffeur du jour pour le doyen nonagénaire. «Nous avons besoin de jeunes vieux!» Cette question occupera certainement les réflexions et actions à venir.


 

Une méthode éprouvée

La démarche des «Quartiers & Villages Solidaires» de Pro Senectue Vaud a pour but de développer les liens  sociaux pour améliorer la qualité de vie des aîné·es dans un village ou un quartier, selon un processus participatif.
La méthodologie d’accompagnement de projets communautaires se déroule en six étapes, sur quatre à cinq ans pour un quartier et sur trois ans et demi pour un village: analyse préliminaire, diagnostic, construction, émergence, réalisation, autonomisation. En 20 ans, Pro Senectute Vaud a ainsi accompagné une quarantaine de projets.

www.quartiers-solidaires.ch


 

Foto: Mont Solidaire