Un personnel adéquat pour les soins complexes

08.02.2023 Elisabeth Seifert

La pénurie de main d’œuvre qualifiée et les situations de soins complexes contraignent les homes à affecter le personnel soignant là où il est vraiment nécessaire. Le «Grademix-Konfigurator für die Langzeitpflege» (Configurateur de grade mix pour les soins de longue durée), un projet commun de la Haute école spécialisée bernoise (BFH) et de Besa Qsys AG, a pour but de soutenir les homes dans ce domaine.

Dans le secteur des soins de longue durée en général et, plus précisément, dans le domaine stationnaire, les soins et l’accompagnement des personnes âgées deviennent de plus en plus complexes. Celles-ci ne sont admises que tardivement dans les établissements médico-sociaux et y entrent donc fragiles. Nombre de résidentes et résidents présentent des pathologies multiples, qui impliquent des facteurs physiques, psychiques et sociaux.

De telles situations complexes peuvent entraîner une surcharge de travail pour les soignant·es, ce qui augmente leur mécontentement et, de ce fait, la probabilité qu’ils renoncent à leur métier. À cela s’ajoute le fait que les organes responsables des EMS et les cantons ont souvent du mal à accorder suffisamment de postes aux niveaux de formation requis.

Un projet cofinancé par Innosuisse, l’Agence suisse pour l’encouragement de l’innovation, entend décharger les EMS et le personnel soignant dans ce contexte difficile: le «Configurateur de grade mix». Il sera développé ces deux prochaines années par la Haute école spécialisée bernoise et Besa Qsys AG, le centre de compétence national pour l’évaluation des besoins en soins et en accompagnement dans les domaines de la santé et du social.
Selon le dossier du projet, le «Configurateur de grade mix» est censé «révolutionner l’affectation du personnel soignant en fonction des ressources en Suisse».

En résumé, il permettra d’une part de calculer la complexité des besoins en matière de soins et d’accompagnement des résident·es en se fondant sur les données de routine déjà collectées dans les établissements médico-sociaux et, d’autre part, de déterminer sur cette base combien d’employé·es de formation secondaire et tertiaire sont nécessaires pour répondre à ces besoins.

Un besoin émanant de la pratique

«Actuellement, il n’existe aucun recensement des besoins en personnel qui se fonde sur les données collectées relatives à la complexité de la situation des résident·es, que ce soit au niveau national ou international», explique Stefka Goldschmid, coresponsable du projet, soulignant ainsi l’importance de ce dernier. Elle est responsable des formations Besa et du développement des soins chez Besa Qsys AG. Les deux éléments centraux du «Configurateur de grade mix» représentent donc de grandes innovations. Les deux questions de recherche déterminantes sont les suivantes: «Quelles données provenant des outils de recensement des besoins Besa et RAI-NH permettent de mesurer la complexité des soins et de l’accompagnement?» Et: «Quels besoins en personnel des différents niveaux de formation en ressort-il?»

Il ne s’agit toutefois pas que d’un simple projet de recherche: il est développé pour et en collaboration avec les institutions, affirment Stefka Goldschmid et Sabine Hahn, coresponsable du projet à la Haute école spécialisée bernoise et responsable du domaine spécialisé Soins au sein du département de la santé à la BFH. En effet, les institutions ont été impliquées dans le développement du projet «Configurateur de grade mix» depuis le début et le seront pendant toute sa durée, garantissant ainsi son orientation pratique.

Afin de déterminer si les homes ont besoin d’un tel outil, les deux partenaires de projet ont réalisé cet été une enquête auprès des responsables de 1350 institutions parmi toutes celles qui utilisent les systèmes Besa ou RAI-NH pour recenser les besoins en soins. Il s’agit de tous les établissements médico-sociaux de Suisse alémanique et du Tessin ainsi que d’un certain nombre de homes en Suisse romande.

Les résultats sont sans équivoque: avec un taux de réponse d’environ 35%, près de la moitié des institutions participantes estiment que le «Configurateur de grade mix» pourrait apporter une valeur ajoutée moyenne à très élevée. En outre, 80 % indiquent qu’elles considèrent la complexité des situations des résident·es comme essentielle pour estimer les besoins en personnel mais qu’à l’heure actuelle, cette évaluation est uniquement subjective. Quelques-unes ont fait remarquer que le «Configurateur de grade mix» ne permettrait pas de résoudre le problème de la pénurie de personnel qualifié, mais qu’il pourrait montrer la différence entre la situation actuelle et celle visée. Les agents payeurs, les responsables politiques et les autorités exigent des arguments fondés sur des données.

Plus de la moitié des institutions ayant participé à l’enquête se montrent ainsi prêtes à utiliser le «Configurateur de grade mix» et près d’un quart souhaite participer au développement du projet au sein du groupe d’accompagnement.

Valeur ajoutée sans surcroît de travail

Selon Stefka Goldschmid, l’actuelle planification du personnel dans les EMS se fonde essentiellement sur des indicateurs indirects tels que les directives cantonales et la taille de l’institution, déterminée par le nombre de lits autorisés. Les différentes équipes doivent aussi présenter une certaine combinaison des niveaux de formation («grade mix»). D’importants critères tels que la complexité de la situation des résident·es, les particularités des institutions ou les spécialisations, par exemple dans le domaine de la démence ou des soins palliatifs, ne sont toutefois pas suffisamment pris en compte.

Les outils de planification du personnel des systèmes Besa ou RAI-NH tiennent compte de la charge en soins occasionnée par les prestations relevant de l’assurance-maladie en plus des directives cantonales et des particularités des institutions. La somme des minutes de soins ou des degrés de soins par résident·e ne donne toutefois aucune information sur la complexité de la situation. Celle-ci peut être déterminée en combinant les différents problèmes et ressources du domaine médical et de celui des soins, selon Stefka Goldschmid. Sabine Hahn ajoute qu’on oublie souvent que les personnes résidant en EMS ont vécu toute une vie. Il est parfois difficile pour elles d’accepter le fait que certaines de leurs compétences se détériorent ou s’altèrent. Il convient donc de développer de nouvelles perspectives, par exemple. Car si des tensions au sein de la famille et des désaccords surviennent, les situations peuvent très vite devenir complexes à gérer.

Les indicateurs ou les critères signalant une situation complexe ont été largement étudiés à la Haute école spécialisée bernoise, sous la direction de Sabine Hahn. Celle-ci explique que le principal défi de ce projet est de savoir dans quelle mesure ces indicateurs peuvent être élaborés à partir des données de routine collectées dans les homes. Le configurateur est «nourri» avec ces données et estime ensuite, au moyen d’un algorithme, si la situation d’un·e résident·e est complexe ou non. Sabine Hahn et Stefka Goldschmid affirment que l’une des tâches essentielles du configurateur est d’apporter une valeur ajoutée aux homes sans représenter un surcroît de travail.
Ce qui est pertinent pour la composition du personnel, c’est de savoir combien de situations de résident·es sont complexes au sein d’une unité ou d’un home. Pour ce faire, il est nécessaire, selon Sabine Hahn, de prendre en compte la complexité moyenne d’un groupe, puis les écarts par rapport à celle-ci. La détermination des effectifs de personnel adéquats représente le deuxième grand défi du projet. Des recherches effectuées à l’étranger servent de base à cette fin et sont adaptées au contexte local avec l’aide de spécialistes.

Pour une affectation adéquate du personnel

Le projet prévoit également que, pour la composition de leur personnel, les homes puissent choisir entre trois niveaux de qualité des soins: «sûr», «bon» et «excellent».

Enfin, les résultats du configurateur pourront être visualisés sur un tableau de bord de manière simple et compréhensible. D’après Stefka Goldschmid, le principal but de la présentation graphique est de permettre une comparaison entre la situation actuelle et celle visée. Par ailleurs, les résultats du configurateur seront reliés à des enquêtes de satisfaction du personnel.

«Prendre en compte la complexité, cela ne signifie pas simplement intégrer toujours plus de personnel de formation tertiaire dans le système», précise Sabine Hahn. L’objectif du configurateur est plutôt de faire en sorte que les soignant·es des différents niveaux de formation puissent effectuer le travail pour lequel ils ont été formés. Leur satisfaction augmente s’ils sont affectés conformément à leurs compétences. «La pénurie de main d’œuvre qualifiée contraint à affecter le personnel soignant là où il est nécessaire», conclut Sabine Hahn.